Khatchik Kachatryan a été arrêté le jour de son anniversaire, le 19 septembre. Le lycéen, scolarisé à Paris mais sans-papiers, fêtait ses 19 ans. Envoyé dans la foulée au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, il a été expulsé samedi dernier, au petit matin, vers l’Arménie, son pays d’origine. Mais ses anciens camarades de classe ne désarment pas. Depuis un mois, ils se battent pour que Khatchik puisse construire son avenir en France. Ils s’étaient donné rendez-vous ce mercredi matin, devant le rectorat de Paris (dans le XXe arrondissement), pour protester contre la politique d’expulsion des élèves étrangers. Durant près de deux heures, plusieurs centaines d’élèves, venus de divers établissements de la capitale, ont bloqué la circulation sur l’avenue Gambetta. Leurs slogans : «Libérez Khatchik !» et «Valls démission !»

Ulysse a 16 ans. Elève en première au lycée Hélène-Boucher (XXe), il ne connaissait pas le jeune Arménien, mais est quand même venu lui apporter son soutien. «C’est une expulsion parmi tant d’autres, et ce n’est pas normal. Toutes les personnes qui sont scolarisées en France devraient être régularisées.» Steven, lui, a rencontré Khatchik début septembre, lors de la rentrée scolaire. Elève dans la même classe de CAP entreposage, au lycée professionnel Camille-Jenatzy (XVIIIe), il décrit quelqu’un de «sympathique», qui «voulait donner les moyens à ses parents de sortir de leurs problèmes».

L’adolescent se félicite de la mobilisation pour son camarade de classe. «On avait réussi à empêcher son embarquement dans un premier avion pour l’Arménie. Même s’il a fini par être renvoyé, on continue !» Il appuie : «Jamais je n’aurais pensé faire quelque chose comme ça. Avant, je serais resté dans mon coin. Mais là, je me dis que je n’aimerais vraiment pas être à sa place.»

La prison ou le service militaire

Depuis son retour en Arménie, Khatchik est assigné à résidence dans son village d’origine. Placé sous contrôle judiciaire, il risque, d’après le Réseau éducation sans frontières (RESF), trois à cinq ans de prison pour insoumission. A leur majorité, tous les jeunes hommes arméniens doivent en effet se faire recenser. Ce que Khatchik, réfugié en France en raison des activités politiques de son père, n’a évidemment pas fait... S’il échappait à l’emprisonnement, Khatchik devrait de toute façon effectuer son service militaire à partir du 1er novembre. Soit, selon RESF, deux ans de service, «avec des risques réels d’avoir à mener des opérations de guerre».

La famille de Khatchik, elle, est toujours en France. Inquiète et cachée : «Ses parents et leurs autres enfants sont sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire (OQTF) depuis le mois de juin, souligne Dante Bassino, représentant de RESF et de la CGT Educ’action. Ils ont très peur et ne comprennent pas pourquoi leur fils a été expulsé.» Arrivés en France en 2011, les Kachatryan ont vu leurs demandes d’asile refusées, «car l’Arménie est considérée comme un pays sûr».

Nouvelle mobilisation jeudi

Dante Bassino espère que la mobilisation des élèves et professeurs incitera les autorités françaises à faire machine arrière. Plusieurs élus de gauche de la capitale, dont la candidate à la mairie de Paris Anne Hidalgo, ont signé un appel pour Khatchik, demandant l'arrêt des expulsions de lycéens. Jacques Daguenet, adjoint au maire du XIe et présent au rassemblement devant le rectorat, va plus loin : «Il est grand temps de régler la situation de ces jeunes scolarisés mais privés de papiers. J’espérais de la gauche qu’elle le fasse, ce n’est pas le cas. On en est encore au système du cas par cas, à la discrétion des préfectures.»

A ses côtés, Christine Maillard, professeur au lycée Dorian, le premier établissement de Khatchik, s’emporte : «Le dernier lycéen parisien expulsé, ça remonte à 2006, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur. Cela avait fait suffisamment de bruit pour que ça ne se reproduise pas pendant sept ans. Et là, en 2013, sous un gouvernement de gauche, on recommence avec les mêmes attitudes...» Du côté des élèves, on appelle à un blocage des lycées parisiens ce jeudi et à une manifestation de la place de la Nation jusqu'au ministère de l'Intérieur.

Sylvain MOUILLARD