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WALLS ET LE RENIEMENT DE LA GAUCHE

Ce reniement dont Manuel Valls est le nom

|  Par Edwy Plenel

Manuel Valls continue son échappée solitaire commencée au lendemain de l’élection de François Hollande. Cet été 2013, le ministre de l’intérieur s’en prend frontalement à la justice, reprenant les refrains ultra-sécuritaires de la droite après avoir donné crédit aux polémiques sur le voile qui stigmatisent les musulmans. Il y a près d’un an, Mediapart avait déjà marqué son désaccord, dans un parti pris toujours d’actualité.

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L’affrontement entre Manuel Valls, ministre de l’intérieur, et Christiane Taubira, ministre de la justice, ne se fait pas que par médias interposés à propos de la décision du parquet de Chartres de ne pas incarcérer immédiatement trois condamnés en raison d'une prison surpeuplée. Il se fait aussi par lettre à François Hollande. Le 25 juillet 2013, Manuel Valls a envoyé une note au président de la République critiquant vivement la réforme de la procédure pénale du ministère de la justice (lire ici).

En septembre 2012, à la fin d'un été où Manuel Valls prit soin, déjà, d’occuper toute la scène, nous publiions ce parti pris mettant en garde contre « ces ministres de l’intérieur saisis du vertige de l’ordre au prix de l’injustice ». Nous le republions ci-dessous, accompagné (en page 3) de renvois à nos derniers articles illustrant le positionnement politique de Manuel Valls (à propos de l’islamophobie, des événements de Trappes, du voile à l’université, de l’asile pour Edward Snowden, des pratiques du renseignement, etc.).

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Manuel Valls sait-il que la France a voté le 6 mai 2012 ? Et qu’elle a voté majoritairement pour que le changement, ce soit maintenant ? Notamment pour les moins considérés et les plus démunis : les jeunes qui ne seraient plus victimes de contrôles au faciès, les musulmans qui ne seraient plus assimilés au terrorisme, les Roms qui ne seraient plus stigmatisés, les immigrés dont le vote local serait reconnu. Piétinant allègrement ces promesses du candidat François Hollande sans être rappelé à l’ordre, le ministre de l’intérieur frappe le nouveau pouvoir d’une marque indélébile : le reniement.

Durant sa campagne électorale, le candidat socialiste n’avait de cesse de répéter qu’il ne promettait que ce qu’il serait capable de tenir. Et que, par conséquent, ses promesses valaient ferme engagement : ce qu’il promettait, il le ferait. « Ce sont mes engagements. Je les tiendrai » : n’était-ce pas la phrase conclusive de l’introduction par François Hollande de ses « 60 engagements pour la France » ? Sauf à être naïf ou aveuglé, on se doutait bien que, s’agissant des enjeux européens ou des questions économiques, la partie serait plus incertaine, tant les évolutions dépendraient de rapports de force face aux dynamiques adverses.

Mais il y avait le reste, tout le reste, qui ne demande pas d’argent mais du courage : l’imagination et la volonté d’une politique nouvelle capable d’élever le pays au-dessus de lui-même, face aux défis qui l’assaillent. Certes la précipitation à passer, en une nuit, d’un traité européen à renégocier à un traité inchangé, qu’un addendum aurait seulement réorienté, tout comme le faible ordre du jour de la session parlementaire estivale, reportant à de lointaines échéances nombre de réformes promises, valaient déjà première alarme.

Le refus d’un vrai débat sur le nouveau traité européen et l’appel caporaliste à la discipline parlementaire valaient aussi première contradiction quand l’on se souvient de l’envolée d’un certain Jean-Marc Ayrault, orateur du PS à l’Assemblée nationale lors du débat sur le Traité européen dit de Lisbonne. C’était en janvier 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. L’actuel premier ministre déposait au nom du groupe socialiste une « motion référendaire » que les tenants du « non » d’aujourd’hui ne manqueront pas de lui rappeler. Il faut « rendre la parole à notre peuple », plaidait-il, ajoutant : « C’est à force de dissimuler l’Europe, de la rendre incompréhensible qu’on a fini par en détourner notre peuple » (lire ici le discours).

Mais l’on pouvait encore mettre sur le compte de rapports de force européens défavorables, que le terrain soit diplomatique ou financier, ce renoncement flagrant, et les arguments d’opportunité qui tentent de l’excuser ou de le justifier. Et l’on pouvait espérer que, le nouveau gouvernement ayant enfin pris ses marques, nombre de questions de société, porteuses de l’imaginaire qui anime une politique et de l’horizon qu’elle propose au peuple, ne seraient pas atteintes par ces reculs, tergiversations et pusillanimités.

Après tout, cette nouvelle majorité n’avait-elle pas cessé, pendant la campagne, de parler de notre jeunesse et d’arpenter nos usines ? De rencontrer cette France dynamique et travailleuse qui est façonnée par ses migrations, nées de sa longue conversation avec le monde, ses ailleurs et ses lointains ? De découvrir ces ouvriers qui en sont issus et qui font nos routes, construisent nos immeubles, fabriquent nos produits, créent la richesse de nos entreprises ? De croiser ces jeunes qui animent nos villes, rêvent de faire leur chemin, imaginent la France qu’ils aiment ?

Bref, nous les avions entendus, pendant cette campagne, François Hollande et les siens revendiquer la France telle qu’elle est et telle qu’elle vit. Et promettre qu’ils lui rendraient sa fierté et sa dignité après les avanies du sarkozysme, la xénophobie revendiquée, l’islamophobie libérée, l’humiliation généralisée. Il faut croire que nous nous trompions. Car c’était compter sans Manuel Valls, devenu aujourd’hui l’homme fort d’un pouvoir faible.



14/08/2013
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