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VENTES AU QATAR: L'AUTRE AFFAIRE QUI MENACE COPEE

Ventes au Qatar: l'autre affaire qui menace Copé (médiapart)1/2

|  Par François Krug

Jean-François Copé a-t-il pu tout ignorer, lorsqu'il était ministre du budget, de ventes de biens de l'État au Qatar par l'intermédiaire de la société Centuria, dans laquelle travaillait un de ses anciens collaborateurs passé par la suite chez Bygmalion ? Tout porte à en douter. Or ces ventes suscitent de plus en plus de questions et de fortes critiques de la Cour des comptes.

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Derrière l’affaire Bygmalion, l’affaire Centuria ? Jean-François Copé, le président de l'UMP, est mis sérieusement en difficulté par les dernières révélations de Libération (lire notre article ici) montrant de très importantes factures, en 2012, établies par le parti pour le compte de la filiale du groupe Bygmalion – Events & Cie – détenue par ses proches. Lorsque l'affaire Bygmalion a éclaté, fin févier, révélant que le président de l’UMP avait favorisé une société de deux de ses proches avec l'argent du parti, un autre personnage était apparu, qui pourrait aujourd'hui concentrer d'autres interrogations sur les agissements de Jean-François Copé.

Pour mémoire, la société Bygmalion était gérée depuis sa création en 2008, par une présidence et une direction générale tournantes entre les deux cofondateurs, Bastien Millot et Guy Alves, tous deux anciens collaborateurs de Jean-François Copé (la gouvernance a évolué ces derniers mois, lire notre article à ce sujet). Mais Bygmalion n'aurait pas pu exister non plus sans son principal actionnaire, Emmanuel Limido. Avant d'investir dans Bygmalion en 2008, Limido avait recruté Alves dans sa société, Financière Centuria, en 2006, au moment où celui-ci quittait le cabinet Copé au ministère du budget.

Et c'est cette financière qui nous occupe aujourd'hui. Car c'est elle qui fut au centre du rachat par le Qatar de deux immeubles de prestige appartenant à l’État. Interrogé sur sa connaissance des ventes aux Qataris, alors qu'il était ministre du budget, Jean-François Copé a affirmé qu'il n’avait rien su des détails. Ses arguments sont particulièrement fragiles.

Car Jean-François Copé, qui plaide aujourd’hui l’ignorance, se faisait à l’époque le champion d’une politique immobilière très volontariste. Et la loi l’obligeait à valider les ventes les plus importantes. Comme celles de l’hôtel Kinski, un hôtel particulier cédé pour 28 millions d’euros en 2006, et, surtout, l'année suivante, du centre de conférences internationales Kléber, pour 404 millions. Chargé aussi de lutter contre l’évasion fiscale, le ministre aurait également tout ignoré des montages financiers passant par le Luxembourg et le Panama.

Derrière ces ventes, les mêmes intermédiaires : Centuria et son patron, Emmanuel Limido. En 2006, peu avant la vente de l’hôtel Kinski, la société avait recruté Guy Alves, chef de cabinet de Jean-François Copé et trésorier du micro-parti qu’il venait de créer, Génération France. Deux ans plus tard, lorsque Guy Alves et Bastien Millot créeront Bygmalion, c’est Emmanuel Limido qui les financera, leur apportant près de 1,5 million d’euros.

Jean-François Copé est resté très discret sur ce volet de l’affaire Bygmalion. Le 28 février, au lendemain de la publication de l’enquête du Point, il expliquait simplement sur Europe 1 : « C’est France Domaine (le service spécialisé de Bercy – ndlr) qui fait les ventes de l’immobilier de l’État. Jamais en tant que ministre du budget, je n’ai (eu) à connaître du détail de tout ça, jamais ! (…) En ce qui concerne Guy Alves, il n’était plus mon collaborateur, il était parti dans le privé, il était passé par une commission, qui l’avait validé. » Voir la vidéo à partir de 08’20” :

Sur le dernier point, le président de l’UMP a techniquement raison. La Commission de déontologie de la fonction publique confirme qu’elle avait accordé à Guy Alves un « avis de compatibilité simple » : elle n’avait identifié aucun risque de conflit d’intérêts. Ce qui autorisait Guy Alves, par exemple, à entretenir des relations professionnelles avec ses anciens collègues du budget.

Jean-François Copé n’aurait-il jamais questionné ce très proche conseiller sur ses nouvelles activités dans l’immobilier ? Au registre du commerce luxembourgeois, le nom de Guy Alves ne figure pas dans les montages élaborés par les Qataris pour racheter l’hôtel Kinski et le centre Kléber, mais l’ex-chef de cabinet était directement impliqué dans leurs autres opérations. Le 1er mai 2007, il était ainsi désigné cogérant d’Al Rayyan Luxembourg 2, une des sociétés-écrans utilisées par la Qatari Islamic Bank pour racheter des immeubles privés à Bagneux, Ivry ou La Défense.

Plus surprenant : Jean-François Copé pouvait-il vraiment tout ignorer des dossiers traités par son administration ? Le 4 novembre 2004, trois semaines avant son arrivée à Bercy, un décret était venu renforcer l’implication du ministre dans la politique immobilière : désormais, lorsque la valeur du bien mis en vente dépasserait un million d’euros – un seuil relevé à deux millions d’euros l’année suivante –, « la cession (serait) autorisée par le ministre chargé du domaine (celui du budget – ndlr) ». Il faudrait donc croire que Jean-François Copé se contentait d’apposer sa signature sur les dossiers transmis par France Domaine et son service spécialisé dans les biens « exceptionnels », la Direction nationale d’interventions domaniales (DNID). Sans s’intéresser, selon son expression, au « détail de tout ça » ?

En 2006, la vente de l’hôtel Kinski démontre pourtant l’intérêt du ministre pour ces dossiers. Ce bâtiment du XVIIIe siècle, évalué à 57 millions d’euros, est occupé par des services du ministère de la culture, qui tardent à quitter les lieux. La commission des finances de l’Assemblée nationale force la main du ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres : un amendement au projet de loi de finances impose la mise en vente de l’hôtel. Le rapporteur général du budget, l’UMP Gilles Carrez, salue dans son rapport « une implication personnelle forte du ministre du budget », dans ce dossier « qui présentait un caractère emblématique ».

« Emblématique », cette vente l’est pour d’autres raisons. Le nouveau propriétaire en titre est une société luxembourgeoise, Kinski Properties, créée pour l’occasion. Ses statuts ne sont officiellement déposés que le 11 décembre 2006, un mois après la clôture de l’appel d’offres. Derrière Kinski Properties, une société-écran domiciliée au Panama, Global Services Overseas, déjà utilisée par les Qataris pour d’autres investissements en Europe. Il faut attendre le 9 janvier 2007 pour que le véritable acquéreur dévoile son identité : Hamad ben Jassem al-Thani devient le nouveau gérant de la société. Ministre des affaires étrangères du Qatar, il sera nommé peu après premier ministre de l’émirat.

Hamad ben Jassem al-Thani.Hamad ben Jassem al-Thani. © Reuters

Seconde surprise : l’hôtel Kinski est vendu 28 millions d’euros, moitié moins que l’évaluation des Domaines. En mars 2007, lorsqu’un professionnel de l’immobilier s’en étonne dans la presse, Jean-François Copé est contraint de se justifier : toutes les ventes réalisées par Bercy « ont été faites de manière systématique au plus offrant sous la responsabilité de France Domaine », et le ministre a « tenu à ce que la politique menée en la matière soit d’une transparence absolument totale »

 



16/05/2014
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