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UN DES PLUS VIEUX HOPITAUX DE FRANCE VENDU AU QATAR ?

Dieu, mon hôpital ! (Médiapart 1)

|  Par Caroline Coq-Chodorge

Plus ancien hôpital de France, l’avenir de l’Hôtel-Dieu est l’objet d’une bataille syndicale et médicale. La fermeture des urgences vient d'être suspendue. À quelques mois des élections municipales, les politiques de tous bords s’en mêlent, rendant la situation encore plus incertaine et difficile à vivre pour les personnels. Par sûr que la santé publique en sorte gagnante. 

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Le lieu est propice à la déambulation : l’air est brûlant, mais les coursives voûtées sont fraîches ; tout près tintent les cloches de la cathédrale. Situé au cœur de l’île de la Cité, bordant le parvis de Notre-Dame-de-Paris, l’Hôtel-Dieu est le plus vieil hôpital de France. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. En 2010, 2 000 personnels médicaux et non médicaux y travaillaient. Ils ne sont plus que 500 aujourd’hui.

Jugé trop vétuste, l’Hôtel-Dieu est restructuré par la direction générale de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris, le plus grand CHU d’Europe, qui regroupe 37 hôpitaux). Un à un, ses services d’hospitalisation déménagent, le plus souvent vers l’hôpital Cochin, situé au sud de la Seine, à 1,8 kilomètre de là.

L’urgentiste Gérald Kierzek dans la cour d’honneur de l’Hôtel-Dieu.L’urgentiste Gérald Kierzek dans la cour d’honneur de l’Hôtel-Dieu.© (dr)

 

« Je vois ce lieu magnifique et j’imagine les directeurs d’hôpitaux avec une coupe de champagne, trinquer au départ des malades et des médecins » : c’est l’urgentiste Gérald Kierzek qui parle. On lui tape dans le dos : « Tu es la mascotte de l’hôpital ! » Très médiatique, il incarne la résistance d’une partie du personnel à la restructuration et à la reconversion de l’Hôtel-Dieu.

 Le 8 juillet, son chef de service lui a retiré la responsabilité du Service médical d’urgence et de réanimation (il reste urgentiste). Une décision avec laquelle la direction a pris ses distances, mais qui a relancé le mouvement de contestation. À tel point que le 10 juillet, la ministre de la santé a annoncé le « report du calendrier » de la fermeture du service des urgences, initialement prévue le 4 novembre, constatant « la dégradation du climat social » et souhaitant que s’ouvre une « vraie concertation» sur l’avenir de l’Hôtel-Dieu.

Car une bataille rangée oppose deux camps et deux visions de l’hôpital. La première est portée par la direction générale. L’Hôtel-Dieu est le dernier épisode d’un incessant mouvement de restructuration de l’AP-HP autour de grands hôpitaux. Mais la direction a un autre projet pour l’Hôtel-Dieu (à découvrir aussi ici) : elle prévoit d’y développer dès la rentrée « un nouveau concept d’hôpital universitaire », un « hôpital debout », sans lits d’hospitalisation, ouvert 24 heures sur 24 et organisé autour de consultations de médecins généralistes et spécialistes, sans dépassements d’honoraires.

« À Paris, 54 % des médecins généralistes et 75 % des médecins spécialistes pratiquent des dépassements d’honoraires », rappelle Jean-Yves Fagon, chef du service de réanimation médicale à l’hôpital européen Georges-Pompidou, et co-auteur du projet médical du nouvel Hôtel-Dieu. Le nouvel Hôtel-Dieu veut répondre à cette difficulté d’accès aux soins courants des populations parisiennes les plus fragiles : « les jeunes, dont l’état de santé est catastrophique, les populations précaires du centre de Paris, les personnes âgées de 65-75 ans mobiles, les malades chroniques, les personnes handicapées », énumère Jean-Yves Fagon.

Le nouvel Hôtel-Dieu doit aussi faire une large place à des soins innovants, tournés vers la prévention des maladies et la lutte contre les inégalités de santé, en lien avec la médecine de ville. Si les premières consultations doivent ouvrir à la rentrée, Jean-Yves Fagon reconnaît que le projet « n’est pas ficelé. Il y a beaucoup de variables non maîtrisables. On montera en charge mois après mois ».

Alain Carini, élu CGT de l’Hôtel-Dieu, devant le local du syndicatAlain Carini, élu CGT de l’Hôtel-Dieu, devant le local du syndicat© (dr)

 

Ces incertitudes suscitent deux types de réactions. La communauté médicale d’établissement, élue par les médecins de l’AP-HP, ne s’oppose pas à ce « pari sur l’avenir, qui pourrait s’avérer utile », explique son président Loïc Capron. Mais elle craint en revanche qu’il coûte cher : « L’AP-HP accuse une dette de 2 milliards d’euros. La plupart de nos hôpitaux sont dans un état lamentable. Peut-on se permettre des fantaisies ? » La direction assure de son côté que le projet est auto-financé : elle prévoit en effet de vendre son siège situé avenue Victoria, en face de la Mairie de Paris. L’administration centrale de l’AP-HP déménagerait donc à l’Hôtel-Dieu. Les syndicats flairent eux l’opération de valorisation immobilière pour renflouer les caisses de l’AP-HP, qui se solderait par « la vente de l’Hôtel-Dieu au Qatar », explique Alain Carini, infirmier et élu CGT, le syndicat majoritaire. « Leur projet est flou, ils sont incapables de répondre à nos questions. »



28/07/2013
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