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TEMOIGNAGE émouvant et percutant d'une philosophe espagnole : Qui défend l'enfant queer ?

Qui défend l’enfant queer ?
> > > 14 janvier 2013 à 19:06
> > > Par BEATRIZ PRECIADO philosophe, directrice du Programme d'études
> > > indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba)

Queer est, à la base, un mot anglais signifiant « étrange », « peu commun », souvent utilisé comme insulte envers des individus gais, lesbiennes, transsexuels… Par ironie et provocation, il fut récupéré et revendiqué par des militants et intellectuels gais, transsexuels, bisexuels, adeptes du BDSM, fétichistes, travestis et transgenres à partir des années 1980, selon le même phénomène d'appropriation du stigmate que lors de la création du mot négritude.

En France, si le terme queer est notamment connu du fait de séries télévisées présentant les gais comme des gens branchés, il n'en reste pas moins qu'il sert avant tout de point de ralliement pour ceux qui - hétérosexuels compris - ne se reconnaissent pas dans l'hétérosexisme de la société, et cherchent à redéfinir les questions de genre (Gender Studies). Se définissent ainsi comme queer des personnes aux pratiques et/ou préférences sexuelles non exclusivement hétérosexuelles ou ayant des caractéristiques qui ne correspondent pas aux normes liées à leur sexe, mais qui ne souhaitent pas se (voir) définir plus précisément, que ce soit par leur sexe (homme ou femme) ou leurs pratiques sexuelles.

 

Témoignage:

> > > Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes
> > > décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes
> > > naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le
> > > troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés
> > > d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père
> > > et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits
> > > des homosexuels. C’est leur jour de sortie, le gigantesque outing
> > > national des hétérocrates. Ils défendent une idéologie naturaliste
> > > et religieuse dont on connaît les principes. Leur hégémonie
> > > hétérosexuelle a toujours reposé sur le droit à opprimer les
> > > minorités sexuelles et de genre. On a l’habitude de les voir brandir
> > > une hache. Ce qui est problématique, c’est qu’ils forcent les
> > > enfants à porter cette hache patriarcale.
> > > L’enfant que Frigide Barjot prétend protéger n’existe pas. Les
> > > défenseurs de l’enfance et de la famille font appel à la figure
> > > politique d’un enfant qu’ils construisent, un enfant présupposé
> > > hétérosexuel et au genre normé. Un enfant qu’on prive de toute force
> > > de résistance, de toute possibilité de faire un usage libre et
> > > collectif de son corps, de ses organes et de ses fluides sexuels.
> > > Cette enfance qu’ils prétendent protéger exige la terreur,
> > > l’oppression et la mort.
> > > Frigide Barjot, leur égérie, profite de ce qu’il est impossible pour
> > > un enfant de se rebeller politiquement contre le discours des
> > > adultes : l’enfant est toujours un corps à qui on ne reconnaît pas
> > > le droit de gouverner. Permettez-moi d’inventer, rétrospectivement,
> > > une scène d’énonciation, de faire un droit de réponse au nom de
> > > l’enfant gouverné que j’ai été, de défendre une autre forme de
> > > gouvernement des enfants qui ne sont pas comme les autres.
> > > J’ai été un jour l’enfant que Frigide Barjot se targue de protéger.
> > > Et je me soulève aujourd’hui au nom des enfants que ces discours
> > > fallacieux entendent préserver. Qui défend les droits de l’enfant
> > > différent ? Les droits du petit garçon qui aime porter du rose ? De
> > > la petite fille qui rêve de se marier avec sa meilleure amie ? Les
> > > droits de l’enfant queer, pédé, gouine, transsexuel ou transgenre ?
> > > Qui défend les droits de l’enfant à changer de genre s’il le
> > > désire ? Les droits de l’enfant à la libre autodétermination de
> > > genre et de sexualité ? Qui défend les droits de l’enfant à grandir
> > > dans un monde sans violence ni sexuelle ni de genre ?
> > > L’omniprésent discours de Frigide Barjot et des protecteurs des
> > > «droits de l’enfant à avoir un père et une mère» me ramène au
> > > langage du national catholicisme de mon enfance. Je suis né/e dans
> > > l’Espagne franquiste où j’ai grandi dans une famille hétérosexuelle
> > > catholique de droite. Une famille exemplaire, que les copéistes
> > > pourraient ériger en emblème de vertu morale. J’ai eu un père, et
> > > une mère. Ils ont scrupuleusement rempli leur fonction de garants
> > > domestiques de l’ordre hétérosexuel.
> > > Dans les discours français actuels contre le mariage et la
> > > Procréation médicalement assistée (PMA) pour tous, je reconnais les
> > > idées et les arguments de mon père. Dans l’intimité du foyer
> > > familial, il déployait un syllogisme qui invoquait la nature et la
> > > loi morale afin de justifier l’exclusion, la violence et jusqu’à la
> > > mise à mort des homosexuels, des travestis et des transsexuels. Ça
> > > commençait par «un homme se doit d’être un homme et une femme une
> > > femme, ainsi que Dieu l’a voulu», ça continuait par «ce qui est
> > > naturel, c’est l’union d’un homme et d’une femme, c’est pour ça que
> > > les homosexuels sont stériles», jusqu’à la conclusion, implacable,
> > > «si mon enfant est homosexuel je préfère encore le tuer». Et cet
> > > enfant, c’était moi.
> > > L’enfant-à-protéger de Frigide Barjot est l’effet d’un dispositif
> > > pédagogique redoutable, le lieu de projection de tous les fantasmes,
> > > l’alibi qui permet à l’adulte de naturaliser la norme. La
> > > biopolitique (1) est vivipare et pédophile. La reproduction
> > > nationale en dépend. L’enfant est un artefact biopolitique garant de
> > > la normalisation de l’adulte. La police du genre surveille le
> > > berceau des vivants à naître, pour les transformer en enfants
> > > hétérosexuels. La norme fait sa ronde autour des corps tendres. Si
> > > tu n’es pas hétérosexuel, c’est la mort qui t’attend. La police du
> > > genre exige des qualités différentes du petit garçon et de la petite
> > > fille. Elle façonne les corps afin de dessiner des organes sexuels
> > > complémentaires. Elle prépare la reproduction, de l’école au
> > > Parlement, l’industrialise. L’enfant que Frigide Barjot désire
> > > protéger est la créature d’une machine despotique : un copéiste
> > > rapetissé qui fait campagne pour la mort au nom de la protection de
> > > la vie.
> > > Je me souviens du jour où, dans mon école de bonnes sœurs, les Sœurs
> > > servantes réparatrices du Sacré-Cœur-de- Jésus, la mère Pilar nous a
> > > demandé de dessiner notre future famille. J’avais 7 ans. Je me suis
> > > dessinée mariée avec ma meilleure amie Marta, trois enfants et
> > > plusieurs chiens et chats. J’avais déjà imaginé une utopie sexuelle,
> > > dans laquelle existait le mariage pour tous, l’adoption, la PMA…
> > > Quelques jours plus tard, l’école a envoyé une lettre à la maison,
> > > conseillant à mes parents de m’emmener voir un psychiatre, afin de
> > > régler au plus vite un problème d’identification sexuelle. De
> > > nombreuses représailles suivirent cette visite. Le mépris et le
> > > rejet de mon père, la honte et la culpabilité de ma mère. A l’école,
> > > le bruit se répandit que j’étais lesbienne. Une manif de copéistes
> > > et de frigide barjotiens s’organisait quotidiennement devant ma
> > > classe. «Sale gouine, disaient-ils, on va te violer pour t’apprendre
> > > à baiser comme Dieu le veut.» J’avais un père et une mère mais ils
> > > furent incapables de me protéger de la répression, de l’exclusion,
> > > de la violence.
> > > Ce que protégeaient mon père et ma mère, ce n’était pas mes droits
> > > d’enfant, mais les normes sexuelles et de genre qu’on leur avait eux-
> > > mêmes inculquées dans la douleur, à travers un système éducatif et
> > > social qui punissait toute forme de dissidence par la menace,
> > > l’intimidation, le châtiment, et la mort. J’avais un père et une
> > > mère mais aucun des deux ne put protéger mon droit à la libre
> > > autodétermination de genre et de sexualité.
> > > J’ai fui ce père et cette mère que Frigide Barjot exige pour moi, ma
> > > survie en dépendait. Ainsi, bien que j’aie eu un père et une mère,
> > > l’idéologie de la différence sexuelle et de l’hétérosexualité
> > > normative me les ont confisqués. Mon père fut réduit au rôle de
> > > représentant répressif de la loi du genre. Ma mère fut déchue de
> > > tout ce qui aurait pu aller au-delà de sa fonction d’utérus, de
> > > reproductrice de la norme sexuelle. L’idéologie de Frigide Barjot
> > > (qui s’articulait alors avec le franquisme national catholique) a
> > > dépouillé l’enfant que j’étais du droit d’avoir un père et une mère
> > > qui auraient pu m’aimer, et prendre soin de moi.
> > > Il nous fallut beaucoup de temps, de conflits et de blessures pour
> > > dépasser cette violence. Quand le gouvernement socialiste de
> > > Zapatero proposa, en 2005, la loi du mariage homosexuel en Espagne,
> > > mes parents, toujours catholiques pratiquants de droite, ont
> > > manifesté en faveur de cette loi. Ils ont voté socialiste pour la
> > > première fois de leur vie. Ils n’ont pas manifesté uniquement pour
> > > défendre mes droits, mais aussi pour revendiquer leur propre droit à
> > > être père et mère d’un enfant non-hétérosexuel. Pour le droit à la
> > > paternité de tous les enfants, indépendamment de leur genre, de leur
> > > sexe ou de leur orientation sexuelle. Ma mère m’a raconté qu’elle
> > > avait dû convaincre mon père, plus réticent. Elle m’a dit «nous
> > > aussi, nous avons le droit d’être tes parents».
> > > Les manifestants du 13 janvier n’ont pas défendu le droit des
> > > enfants. Ils défendent le pouvoir d’éduquer les enfants dans la
> > > norme sexuelle et de genre, comme présumés hétérosexuels.
> > > Ils défilent pour maintenir le droit de discriminer, punir et
> > > corriger toute forme de dissidence ou déviation, mais aussi pour
> > > rappeler aux parents d’enfants non-hétérosexuels que leur devoir est
> > > d’en avoir honte, de les refuser, de les corriger. Nous défendons le
> > > droit des enfants à ne pas être éduqués exclusivement comme force de
> > > travail et de reproduction. Nous défendons le droit des enfants à ne
> > > pas être considérés comme de futurs producteurs de sperme et de
> > > futurs utérus. Nous défendons le droit des enfants à être des
> > > subjectivités politiques irréductibles à une identité de genre, de
> > > sexe ou de race.
> > > (1) Concept de Michel Foucault désignant un pouvoir s’exerçant sur
> > > les corps et les populations. Auteure de «Pornotopie : Playboy et
> > > l’invention de la sexualité multimédia», (Climats, 2011).
> > >
> > >Qui défend l’enfant queer ?
> > > 14 janvier 2013 à 19:06
> > > Par BEATRIZ PRECIADO philosophe, directrice du Programme d'études
> > > indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba)
> > > Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes
> > > décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes
> > > naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le
> > > troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés
> > > d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père
> > > et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits
> > > des homosexuels. C’est leur jour de sortie, le gigantesque outing
> > > national des hétérocrates. Ils défendent une idéologie naturaliste
> > > et religieuse dont on connaît les principes. Leur hégémonie
> > > hétérosexuelle a toujours reposé sur le droit à opprimer les
> > > minorités sexuelles et de genre. On a l’habitude de les voir brandir
> > > une hache. Ce qui est problématique, c’est qu’ils forcent les
> > > enfants à porter cette hache patriarcale.
> > > L’enfant que Frigide Barjot prétend protéger n’existe pas. Les
> > > défenseurs de l’enfance et de la famille font appel à la figure
> > > politique d’un enfant qu’ils construisent, un enfant présupposé
> > > hétérosexuel et au genre normé. Un enfant qu’on prive de toute force
> > > de résistance, de toute possibilité de faire un usage libre et
> > > collectif de son corps, de ses organes et de ses fluides sexuels.
> > > Cette enfance qu’ils prétendent protéger exige la terreur,
> > > l’oppression et la mort.
> > > Frigide Barjot, leur égérie, profite de ce qu’il est impossible pour
> > > un enfant de se rebeller politiquement contre le discours des
> > > adultes : l’enfant est toujours un corps à qui on ne reconnaît pas
> > > le droit de gouverner. Permettez-moi d’inventer, rétrospectivement,
> > > une scène d’énonciation, de faire un droit de réponse au nom de
> > > l’enfant gouverné que j’ai été, de défendre une autre forme de
> > > gouvernement des enfants qui ne sont pas comme les autres.
> > > J’ai été un jour l’enfant que Frigide Barjot se targue de protéger.
> > > Et je me soulève aujourd’hui au nom des enfants que ces discours
> > > fallacieux entendent préserver. Qui défend les droits de l’enfant
> > > différent ? Les droits du petit garçon qui aime porter du rose ? De
> > > la petite fille qui rêve de se marier avec sa meilleure amie ? Les
> > > droits de l’enfant queer, pédé, gouine, transsexuel ou transgenre ?
> > > Qui défend les droits de l’enfant à changer de genre s’il le
> > > désire ? Les droits de l’enfant à la libre autodétermination de
> > > genre et de sexualité ? Qui défend les droits de l’enfant à grandir
> > > dans un monde sans violence ni sexuelle ni de genre ?
> > > L’omniprésent discours de Frigide Barjot et des protecteurs des
> > > «droits de l’enfant à avoir un père et une mère» me ramène au
> > > langage du national catholicisme de mon enfance. Je suis né/e dans
> > > l’Espagne franquiste où j’ai grandi dans une famille hétérosexuelle
> > > catholique de droite. Une famille exemplaire, que les copéistes
> > > pourraient ériger en emblème de vertu morale. J’ai eu un père, et
> > > une mère. Ils ont scrupuleusement rempli leur fonction de garants
> > > domestiques de l’ordre hétérosexuel.
> > > Dans les discours français actuels contre le mariage et la
> > > Procréation médicalement assistée (PMA) pour tous, je reconnais les
> > > idées et les arguments de mon père. Dans l’intimité du foyer
> > > familial, il déployait un syllogisme qui invoquait la nature et la
> > > loi morale afin de justifier l’exclusion, la violence et jusqu’à la
> > > mise à mort des homosexuels, des travestis et des transsexuels. Ça
> > > commençait par «un homme se doit d’être un homme et une femme une
> > > femme, ainsi que Dieu l’a voulu», ça continuait par «ce qui est
> > > naturel, c’est l’union d’un homme et d’une femme, c’est pour ça que
> > > les homosexuels sont stériles», jusqu’à la conclusion, implacable,
> > > «si mon enfant est homosexuel je préfère encore le tuer». Et cet
> > > enfant, c’était moi.
> > > L’enfant-à-protéger de Frigide Barjot est l’effet d’un dispositif
> > > pédagogique redoutable, le lieu de projection de tous les fantasmes,
> > > l’alibi qui permet à l’adulte de naturaliser la norme. La
> > > biopolitique (1) est vivipare et pédophile. La reproduction
> > > nationale en dépend. L’enfant est un artefact biopolitique garant de
> > > la normalisation de l’adulte. La police du genre surveille le
> > > berceau des vivants à naître, pour les transformer en enfants
> > > hétérosexuels. La norme fait sa ronde autour des corps tendres. Si
> > > tu n’es pas hétérosexuel, c’est la mort qui t’attend. La police du
> > > genre exige des qualités différentes du petit garçon et de la petite
> > > fille. Elle façonne les corps afin de dessiner des organes sexuels
> > > complémentaires. Elle prépare la reproduction, de l’école au
> > > Parlement, l’industrialise. L’enfant que Frigide Barjot désire
> > > protéger est la créature d’une machine despotique : un copéiste
> > > rapetissé qui fait campagne pour la mort au nom de la protection de
> > > la vie.
> > > Je me souviens du jour où, dans mon école de bonnes sœurs, les Sœurs
> > > servantes réparatrices du Sacré-Cœur-de- Jésus, la mère Pilar nous a
> > > demandé de dessiner notre future famille. J’avais 7 ans. Je me suis
> > > dessinée mariée avec ma meilleure amie Marta, trois enfants et
> > > plusieurs chiens et chats. J’avais déjà imaginé une utopie sexuelle,
> > > dans laquelle existait le mariage pour tous, l’adoption, la PMA…
> > > Quelques jours plus tard, l’école a envoyé une lettre à la maison,
> > > conseillant à mes parents de m’emmener voir un psychiatre, afin de
> > > régler au plus vite un problème d’identification sexuelle. De
> > > nombreuses représailles suivirent cette visite. Le mépris et le
> > > rejet de mon père, la honte et la culpabilité de ma mère. A l’école,
> > > le bruit se répandit que j’étais lesbienne. Une manif de copéistes
> > > et de frigide barjotiens s’organisait quotidiennement devant ma
> > > classe. «Sale gouine, disaient-ils, on va te violer pour t’apprendre
> > > à baiser comme Dieu le veut.» J’avais un père et une mère mais ils
> > > furent incapables de me protéger de la répression, de l’exclusion,
> > > de la violence.
> > > Ce que protégeaient mon père et ma mère, ce n’était pas mes droits
> > > d’enfant, mais les normes sexuelles et de genre qu’on leur avait eux-
> > > mêmes inculquées dans la douleur, à travers un système éducatif et
> > > social qui punissait toute forme de dissidence par la menace,
> > > l’intimidation, le châtiment, et la mort. J’avais un père et une
> > > mère mais aucun des deux ne put protéger mon droit à la libre
> > > autodétermination de genre et de sexualité.
> > > J’ai fui ce père et cette mère que Frigide Barjot exige pour moi, ma
> > > survie en dépendait. Ainsi, bien que j’aie eu un père et une mère,
> > > l’idéologie de la différence sexuelle et de l’hétérosexualité
> > > normative me les ont confisqués. Mon père fut réduit au rôle de
> > > représentant répressif de la loi du genre. Ma mère fut déchue de
> > > tout ce qui aurait pu aller au-delà de sa fonction d’utérus, de
> > > reproductrice de la norme sexuelle. L’idéologie de Frigide Barjot
> > > (qui s’articulait alors avec le franquisme national catholique) a
> > > dépouillé l’enfant que j’étais du droit d’avoir un père et une mère
> > > qui auraient pu m’aimer, et prendre soin de moi.
> > > Il nous fallut beaucoup de temps, de conflits et de blessures pour
> > > dépasser cette violence. Quand le gouvernement socialiste de
> > > Zapatero proposa, en 2005, la loi du mariage homosexuel en Espagne,
> > > mes parents, toujours catholiques pratiquants de droite, ont
> > > manifesté en faveur de cette loi. Ils ont voté socialiste pour la
> > > première fois de leur vie. Ils n’ont pas manifesté uniquement pour
> > > défendre mes droits, mais aussi pour revendiquer leur propre droit à
> > > être père et mère d’un enfant non-hétérosexuel. Pour le droit à la
> > > paternité de tous les enfants, indépendamment de leur genre, de leur
> > > sexe ou de leur orientation sexuelle. Ma mère m’a raconté qu’elle
> > > avait dû convaincre mon père, plus réticent. Elle m’a dit «nous
> > > aussi, nous avons le droit d’être tes parents».
> > > Les manifestants du 13 janvier n’ont pas défendu le droit des
> > > enfants. Ils défendent le pouvoir d’éduquer les enfants dans la
> > > norme sexuelle et de genre, comme présumés hétérosexuels.
> > > Ils défilent pour maintenir le droit de discriminer, punir et
> > > corriger toute forme de dissidence ou déviation, mais aussi pour
> > > rappeler aux parents d’enfants non-hétérosexuels que leur devoir est
> > > d’en avoir honte, de les refuser, de les corriger. Nous défendons le
> > > droit des enfants à ne pas être éduqués exclusivement comme force de
> > > travail et de reproduction. Nous défendons le droit des enfants à ne
> > > pas être considérés comme de futurs producteurs de sperme et de
> > > futurs utérus. Nous défendons le droit des enfants à être des
> > > subjectivités politiques irréductibles à une identité de genre, de
> > > sexe ou de race.
> > > (1) Concept de Michel Foucault désignant un pouvoir s’exerçant sur
> > > les corps et les populations. Auteure de «Pornotopie : Playboy et
> > > l’invention de la sexualité multimédia», (Climats, 2011).
> > >
> > >Qui défend l’enfant queer ?
> > > 14 janvier 2013 à 19:06
> > > Par BEATRIZ PRECIADO philosophe, directrice du Programme d'études
> > > indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba)
> > > Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes
> > > décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes
> > > naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le
> > > troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés
> > > d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père
> > > et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits
> > > des homosexuels. C’est leur jour de sortie, le gigantesque outing
> > > national des hétérocrates. Ils défendent une idéologie naturaliste
> > > et religieuse dont on connaît les principes. Leur hégémonie
> > > hétérosexuelle a toujours reposé sur le droit à opprimer les
> > > minorités sexuelles et de genre. On a l’habitude de les voir brandir
> > > une hache. Ce qui est problématique, c’est qu’ils forcent les
> > > enfants à porter cette hache patriarcale.
> > > L’enfant que Frigide Barjot prétend protéger n’existe pas. Les
> > > défenseurs de l’enfance et de la famille font appel à la figure
> > > politique d’un enfant qu’ils construisent, un enfant présupposé
> > > hétérosexuel et au genre normé. Un enfant qu’on prive de toute force
> > > de résistance, de toute possibilité de faire un usage libre et
> > > collectif de son corps, de ses organes et de ses fluides sexuels.
> > > Cette enfance qu’ils prétendent protéger exige la terreur,
> > > l’oppression et la mort.
> > > Frigide Barjot, leur égérie, profite de ce qu’il est impossible pour
> > > un enfant de se rebeller politiquement contre le discours des
> > > adultes : l’enfant est toujours un corps à qui on ne reconnaît pas
> > > le droit de gouverner. Permettez-moi d’inventer, rétrospectivement,
> > > une scène d’énonciation, de faire un droit de réponse au nom de
> > > l’enfant gouverné que j’ai été, de défendre une autre forme de
> > > gouvernement des enfants qui ne sont pas comme les autres.
> > > J’ai été un jour l’enfant que Frigide Barjot se targue de protéger.
> > > Et je me soulève aujourd’hui au nom des enfants que ces discours
> > > fallacieux entendent préserver. Qui défend les droits de l’enfant
> > > différent ? Les droits du petit garçon qui aime porter du rose ? De
> > > la petite fille qui rêve de se marier avec sa meilleure amie ? Les
> > > droits de l’enfant queer, pédé, gouine, transsexuel ou transgenre ?
> > > Qui défend les droits de l’enfant à changer de genre s’il le
> > > désire ? Les droits de l’enfant à la libre autodétermination de
> > > genre et de sexualité ? Qui défend les droits de l’enfant à grandir
> > > dans un monde sans violence ni sexuelle ni de genre ?
> > > L’omniprésent discours de Frigide Barjot et des protecteurs des
> > > «droits de l’enfant à avoir un père et une mère» me ramène au
> > > langage du national catholicisme de mon enfance. Je suis né/e dans
> > > l’Espagne franquiste où j’ai grandi dans une famille hétérosexuelle
> > > catholique de droite. Une famille exemplaire, que les copéistes
> > > pourraient ériger en emblème de vertu morale. J’ai eu un père, et
> > > une mère. Ils ont scrupuleusement rempli leur fonction de garants
> > > domestiques de l’ordre hétérosexuel.
> > > Dans les discours français actuels contre le mariage et la
> > > Procréation médicalement assistée (PMA) pour tous, je reconnais les
> > > idées et les arguments de mon père. Dans l’intimité du foyer
> > > familial, il déployait un syllogisme qui invoquait la nature et la
> > > loi morale afin de justifier l’exclusion, la violence et jusqu’à la
> > > mise à mort des homosexuels, des travestis et des transsexuels. Ça
> > > commençait par «un homme se doit d’être un homme et une femme une
> > > femme, ainsi que Dieu l’a voulu», ça continuait par «ce qui est
> > > naturel, c’est l’union d’un homme et d’une femme, c’est pour ça que
> > > les homosexuels sont stériles», jusqu’à la conclusion, implacable,
> > > «si mon enfant est homosexuel je préfère encore le tuer». Et cet
> > > enfant, c’était moi.
> > > L’enfant-à-protéger de Frigide Barjot est l’effet d’un dispositif
> > > pédagogique redoutable, le lieu de projection de tous les fantasmes,
> > > l’alibi qui permet à l’adulte de naturaliser la norme. La
> > > biopolitique (1) est vivipare et pédophile. La reproduction
> > > nationale en dépend. L’enfant est un artefact biopolitique garant de
> > > la normalisation de l’adulte. La police du genre surveille le
> > > berceau des vivants à naître, pour les transformer en enfants
> > > hétérosexuels. La norme fait sa ronde autour des corps tendres. Si
> > > tu n’es pas hétérosexuel, c’est la mort qui t’attend. La police du
> > > genre exige des qualités différentes du petit garçon et de la petite
> > > fille. Elle façonne les corps afin de dessiner des organes sexuels
> > > complémentaires. Elle prépare la reproduction, de l’école au
> > > Parlement, l’industrialise. L’enfant que Frigide Barjot désire
> > > protéger est la créature d’une machine despotique : un copéiste
> > > rapetissé qui fait campagne pour la mort au nom de la protection de
> > > la vie.
> > > Je me souviens du jour où, dans mon école de bonnes sœurs, les Sœurs
> > > servantes réparatrices du Sacré-Cœur-de- Jésus, la mère Pilar nous a
> > > demandé de dessiner notre future famille. J’avais 7 ans. Je me suis
> > > dessinée mariée avec ma meilleure amie Marta, trois enfants et
> > > plusieurs chiens et chats. J’avais déjà imaginé une utopie sexuelle,
> > > dans laquelle existait le mariage pour tous, l’adoption, la PMA…
> > > Quelques jours plus tard, l’école a envoyé une lettre à la maison,
> > > conseillant à mes parents de m’emmener voir un psychiatre, afin de
> > > régler au plus vite un problème d’identification sexuelle. De
> > > nombreuses représailles suivirent cette visite. Le mépris et le
> > > rejet de mon père, la honte et la culpabilité de ma mère. A l’école,
> > > le bruit se répandit que j’étais lesbienne. Une manif de copéistes
> > > et de frigide barjotiens s’organisait quotidiennement devant ma
> > > classe. «Sale gouine, disaient-ils, on va te violer pour t’apprendre
> > > à baiser comme Dieu le veut.» J’avais un père et une mère mais ils
> > > furent incapables de me protéger de la répression, de l’exclusion,
> > > de la violence.
> > > Ce que protégeaient mon père et ma mère, ce n’était pas mes droits
> > > d’enfant, mais les normes sexuelles et de genre qu’on leur avait eux-
> > > mêmes inculquées dans la douleur, à travers un système éducatif et
> > > social qui punissait toute forme de dissidence par la menace,
> > > l’intimidation, le châtiment, et la mort. J’avais un père et une
> > > mère mais aucun des deux ne put protéger mon droit à la libre
> > > autodétermination de genre et de sexualité.
> > > J’ai fui ce père et cette mère que Frigide Barjot exige pour moi, ma
> > > survie en dépendait. Ainsi, bien que j’aie eu un père et une mère,
> > > l’idéologie de la différence sexuelle et de l’hétérosexualité
> > > normative me les ont confisqués. Mon père fut réduit au rôle de
> > > représentant répressif de la loi du genre. Ma mère fut déchue de
> > > tout ce qui aurait pu aller au-delà de sa fonction d’utérus, de
> > > reproductrice de la norme sexuelle. L’idéologie de Frigide Barjot
> > > (qui s’articulait alors avec le franquisme national catholique) a
> > > dépouillé l’enfant que j’étais du droit d’avoir un père et une mère
> > > qui auraient pu m’aimer, et prendre soin de moi.
> > > Il nous fallut beaucoup de temps, de conflits et de blessures pour
> > > dépasser cette violence. Quand le gouvernement socialiste de
> > > Zapatero proposa, en 2005, la loi du mariage homosexuel en Espagne,
> > > mes parents, toujours catholiques pratiquants de droite, ont
> > > manifesté en faveur de cette loi. Ils ont voté socialiste pour la
> > > première fois de leur vie. Ils n’ont pas manifesté uniquement pour
> > > défendre mes droits, mais aussi pour revendiquer leur propre droit à
> > > être père et mère d’un enfant non-hétérosexuel. Pour le droit à la
> > > paternité de tous les enfants, indépendamment de leur genre, de leur
> > > sexe ou de leur orientation sexuelle. Ma mère m’a raconté qu’elle
> > > avait dû convaincre mon père, plus réticent. Elle m’a dit «nous
> > > aussi, nous avons le droit d’être tes parents».
> > > Les manifestants du 13 janvier n’ont pas défendu le droit des
> > > enfants. Ils défendent le pouvoir d’éduquer les enfants dans la
> > > norme sexuelle et de genre, comme présumés hétérosexuels.
> > > Ils défilent pour maintenir le droit de discriminer, punir et
> > > corriger toute forme de dissidence ou déviation, mais aussi pour
> > > rappeler aux parents d’enfants non-hétérosexuels que leur devoir est
> > > d’en avoir honte, de les refuser, de les corriger. Nous défendons le
> > > droit des enfants à ne pas être éduqués exclusivement comme force de
> > > travail et de reproduction. Nous défendons le droit des enfants à ne
> > > pas être considérés comme de futurs producteurs de sperme et de
> > > futurs utérus. Nous défendons le droit des enfants à être des
> > > subjectivités politiques irréductibles à une identité de genre, de
> > > sexe ou de race.
> > > (1) Concept de Michel Foucault désignant un pouvoir s’exerçant sur
> > > les corps et les populations. Auteure de «Pornotopie : Playboy et
> > > l’invention de la sexualité multimédia», (Climats, 2011).
> > >
> > >



17/01/2013
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