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QUAND LA DROITE DESCEND DANS LA RUE;;;

Quand la droite descend dans la rue (médiapart1)

|  Par Joseph Confavreux

Alors qu'une large mobilisation contre le pouvoir socialiste est prévue dimanche, et que des milliers de personnes ont défilé hier contre l'avortement, Danielle Tartakowsky, historienne, revient sur l’ambivalence des rapports entre les droites et la rue.

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« L’idée fausse selon laquelle la manifestation de rue serait en France consubstantiellement ouvrière et de gauche a la vie dure », remarque d’emblée Danielle Tartakowsky, historienne de la manifestation, actuellement présidente de l’université Paris-VIII, dans son dernier ouvrage, Les Droites et la rue – Histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours (éditions La Découverte).

Ainsi, dans l’ouvrage collectif dirigé par Jean-François Sirinelli, Histoire des droites en France, « ce mode d’action n’a pas retenu l’attention des contributeurs », souligne-t-elle, bien que l’un des trois tomes ait été dédié aux cultures des droites.

Il suffit pourtant de se souvenir des rassemblements catholiques contre la politique du Cartel des gauches en 1924-1925, des ligues du 6 février 1934 devant l’Assemblée nationale, du 13 mai 1958 à Alger, de la manifestation de soutien à de Gaulle, le 30 mai 1968, sur les Champs-Élysées ou encore des manifestations pour la défense de l’école libre en 1984 pour saisir que les mobilisations du printemps 2013 ne constituent pas des exceptions venues de nulle part.

L’ampleur de la Manif pour tous est-elle susceptible de modifier l’usage, souvent refoulé, que les droites ont de la rue ? Alors que se prépare, pour dimanche 26 janvier, une nouvelle journée de manifestation contre le gouvernement socialiste, et qu'entre 16 000 et 40 000 personnes ont défilé dimanche 19 janvier dans Paris contre l'avortement à la veille de l'examen de la loi  pour l'égalité hommes-femmes, Danielle Tartakowsky décrypte un siècle où différentes composantes de la droite ont battu le pavé, même si, tardivement décomplexée, celle-ci « s’est plus souvent réclamée de l’apolitisme et/ou de la France que de cette appartenance quand il lui est arrivé de manifester ».

Les manifestations du printemps dernier contre le mariage pour tous ont-elles surpris l'historienne de la manifestation que vous êtes ?

Même en connaissant les histoires antérieures de la présence des droites dans la rue, elles m’ont surprise, par leur nombre et leur temporalité, puisqu’elles se sont prolongées après le vote de la loi. Il y a une volonté de reconfigurer les valeurs, en s’inscrivant dans la longue durée, comme un contre-Mai-68. Au-delà de l’idée fausse que la manifestation de rue appartiendrait seulement à l’histoire de la gauche, je pense que même les organisateurs ont été surpris d’une telle ampleur.

Le cortège des élus UMP lors de la manifestation du 13 janvier, à Paris. Le cortège des élus UMP lors de la manifestation du 13 janvier, à Paris. © Reuters

Vous parlez de « l'ambivalence » des rapports entre les droites et la rue. Où se situe-t-elle ?

À part le mouvement Action française, les droites se définissent comme des forces d’ordre et parlent de la rue comme d’un lieu de désordre. L’histoire montre pourtant qu’elles ont occupé une place parfois centrale dans les manifestations de rue au cours de l’histoire française. La droite a joué, historiquement, un rôle beaucoup plus important que l’image qu’on peut en avoir dans l'émergence de la manifestation comme moyen d'action politique.

Mais cette importance a été masquée parce que la droite a toujours refoulé son usage de la rue, à l’exception d’une frange de l’extrême-droite qui assume un usage violent de la protestation de rue. La Manif pour tous a opéré une rupture, puisque les différentes tendances de la droite se sont reconnues et retrouvées dans la rue, sans qu’on puisse savoir si, dans la longue durée, cela va opérer un changement du registre de mobilisation politique des forces de droite.

Qu'est-ce qui distingue une manifestation venant de la droite d'une manifestation venant de la gauche ? Les lieux de défilés sont-ils encore significatifs ?

Ce serait trop facile de répondre : « leurs objectifs ». Si je raisonne sur la période post-1984, les manifestations venues de la gauche ou de la droite participent toutes de la démocratie protestataire. Il y a des répertoires communs et la plupart des grandes mobilisations sont désormais défensives, que ce soit en 1995, entre les deux tours de 2002 ou lors des protestations contre la réforme des retraites, même si la Manif pour tous a voulu aller au-delà du projet de loi sur le mariage pour tous.

Quant aux espaces de défilés, j’avais déjà montré dans mon ouvrage Manifester à Paris qu’il existe un brouillage spatial et politique. Il y a bien un clivage Est-Ouest, mis en place en 1936, qui a fonctionné jusqu’en 1968. Mais depuis, tous les espaces sont bons à prendre.

En 1984, la grande manifestation en faveur de l’enseignement privé demande les Champs-Élysées pour s’inscrire dans la filiation du 30 mai 1968 et des grandes commémorations nationales, en sachant pertinemment que ce sera refusé, comme c’est le cas d’habitude pour cette avenue. Mais les possibilités pour des grands défilés ne sont pas infinies et, quand on leur a proposé la Bastille, les manifestants se sont aisément approprié le thème de la liberté sur ce haut lieu du mitterrandisme...

On trouve donc encore quelques traces de clivage symbolique, et les manifestations syndicales et assimilées continuent de se concentrer sur le triangle République-Bastille-Nation, mais ce clivage est brouillé par la réalité des appropriations.



20/01/2014
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