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QUAND L'EXTREME DROITE FRANCAISE ATTAQUE ATTAQUE...;EN JUSTICE

Les recours en justice, nouvelle arme du FN

| Par Marine Turchi

«Nous ne sommes pas à l'extrême droite!», avait tempêté Marine Le Pen en mars dernier, lorsque Mediapart s'était entretenu avec elle après un meeting à Toulon. «Quand je l'ai dit, Carl Lang (l'ex-secrétaire général du FN - ndlr) est parti, d'ailleurs! Nous ne sommes pas un parti anti-républicain. Rien dans ce que je dis et ce que je propose n'est d'extrême droite», estimait-elle.

Désormais, la ligne est claire: le FN attaquera en justice tous ceux qui laissent entendre le contraire. «On ne va rien laisser passer, on va poursuivre (en justice) systématiquement», explique à Mediapart Steeve Briois, le secrétaire général du FN. Ces derniers mois, Marine Le Pen a attaqué, pour diffamation ou injure, Georges Tron, Rama Yade, Jean-Luc Mélenchon, et même France Télévisions, fin juin, pour un numéro de l'émission «Complément d'enquête», diffusé début mai sur France-2 et consacré à l'extrême droite. Ce mois-ci, en une semaine, la présidente du FN a dégainé deux plaintes en diffamation (l'une a été déposée, l'autre a été annoncée).

La dernière en date concerne le drame norvégien, qui a placé le FN et les autres partis d'extrême droite européens en position d'accusés. Ce week-end, plusieurs personnalités politiques et associations antiracistes ont pointé un lien entre le massacre et la montée de partis populistes islamophobes en Europe. Dans un communiqué, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) a estimé que les partis d'extrême droite européens – dont le FN – «portent une lourde responsabilité dans le climat délétère qui pèse sur le continent tout entier».

De quoi fâcher la présidente du FN, qui est sortie de son silence en publiant un communiqué intitulé «Honte au MRAP!», dans lequel elle accuse l'association de «récupérer un événement terriblement douloureux pour tenter de créer la confusion dans les esprits». «En restant muet, cela nous sera reproché et on donnera raison à nos détracteurs. Donc, on poursuit systématiquement. C'est la stratégie qu'on a adoptée à Hénin-Beaumont (fief de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais - ndlr), ça marche, on a gagné tous nos procès», explique Steeve Briois.

Le 20 juillet, le FN a également assigné en justice Caroline Fourest et Fiammetta Venner, les auteurs d'une biographie non autorisée sur Marine Le Pen, les accusant de diffamation et injure dans ce livre paru début mai. Dix-sept passages sont évoqués, notamment celui concernant les circonstances de la mort du grand-père de la présidente du FN. «Ce livre est une succession d'anecdotes, d'approximations, sans faits précis. C'est vague et creux», estime Steeve Briois.

«Le FN, particulièrement le lepénisme, est très juridique. Le père comme la fille ont fait du droit. Lui a construit sa fortune au tribunal à la suite de plusieurs procès. Elle est allée plus loin en devenant avocate et conseillère juridique du FN. Donc, c'est leur arme», explique Erwan Lecœur, sociologue et consultant, spécialiste de l'extrême droite. Une «arme» que «manie davantage Marine Le Pen que Jean-Marie Le Pen», selon le politologue spécialiste de l'extrême droite, Jean-Yves Camus. «Le Pen père avait le cuir plus dur, il admettait qu'en politique, on prend des coups.»

Assez paradoxal de voir la présidente du FN, qui cherche à rompre avec des pratiques anciennes, brandir à tous bouts de champ l'arme juridique pour lisser son image, aux dépens de la liberté d'expression. «Vous ne verrez aucun parti d'extrême gauche faire pression à coups de recours en justice. Si vous écrivez demain que Besancenot est d'extrême gauche, il ne dira rien, il sera même plutôt d'accord, analyse Jean-Yves Camus. Le FN, lui, fait des procès d'opinion. Mais à Hénin-Beaumont, cela ne leur a pas permis de remporter la mairie.»

Jean-Yves Camus ajoute: «L'arme pourrait se retourner contre Marine Le Pen.» «Si cela devait aller plus loin et toucher les chercheurs qui travaillent sur le FN par exemple, Marine Le Pen risquerait de voir sa surface médiatique diminuer, car ceux-ci ne s'exprimeraient plus.»

Pour Erwan Lecœur, cela s'inscrit au contraire en plein dans la «stratégie de dédiabolisation» de la présidente du FN. «Depuis des années, sa stratégie est de séduire les médias en instaurant une relation de connivence. Elle dit: soit vous êtes avec moi et vous jouez le jeu de la normalisation du type "Marine n'est pas comme son père", soit vous êtes contre moi et ça se passera devant les tribunaux. Beaucoup rentrent dans son jeu et sont contents d'aller fumer des cigarettes dans son bureau», estime-t-il. Selon lui, «la plainte contre les auteurs de sa biographie est dirigée non pas contre Caroline Fourest mais contre les autres journalistes: montrer qu'elle peut être gentille et caressante mais aussi méchante et

Cela pourrait arriver en France»

Si la plainte contre Caroline Fourest et Fiammetta Venner permet de lancer un avertissement aux journalistes – et de rappeler au passage que la seule biographie autorisée est le livre de Marine Le Pen, A contre flots (2006) –, celle contre le MRAP a surtout pour but de masquer un embarras du FN face au drame norvégien.

Il a fallu attendre dimanche pour que le Front national réagisse au double attentat commis à Oslo vendredi. Dans un communiqué laconique (et non signé), le parti «condamne ces actes barbares et lâches et exprime sa totale solidarité avec le peuple norvégien». La présidente du FN ne publiera qu'un communiqué en son nom, celui annonçant la plainte contre le MRAP et expliquant que «le Front national est évidemment parfaitement étranger à la tuerie norvégienne, qui est l’œuvre d’un déséquilibré solitaire qui devra être châtié de façon impitoyable».

Entre-temps, Bruno Gollnisch, son ancien rival, a dénoncé samedi une «manipulation médiatique» et un «nouveau Carpentras», en référence à une affaire de 1990 dans laquelle le Front national avait été accusé de la profanation d'un cimetière juif. «La vérité, c'est qu'il ne saurait exister de responsabilité collective. Un assassin n'engage que ses complices effectifs et lui-même», a-t-il écrit, en comparant le double attentat d'Oslo avec celui de la synagogue de la rue Copernic en 1980 et à la tuerie de Nanterre en 2002, perpétrée par un déséquilibré, militant chez les Verts.

Steeve Briois dénonce lui aussi un «amalgame scandaleux» et se risque à deux comparaisons sordides: «En 1998, un élu Verts a tué l’amant de sa femme de 42 coups de couteaux. Est-ce qu'on va dire que les Verts sont un parti de tueurs? Si demain un Marocain tuait ses deux femmes pour toucher l'assurance vie, dira-t-on que tous les Marocains sont comme lui? Ce n'est pas parce que le tueur était proche des mouvements nationalistes que tous ces mouvements sont responsables collectivement.»

Même réaction du côté de Bruno Bilde, chef de cabinet de Marine Le Pen, avec qui il s’est entretenu sur le sujet, selon Libération: «L’homme est présenté tantôt comme un fondamentaliste chrétien, tantôt comme un franc-maçon… Il n’y a pas de responsabilité collective» de la droite nationaliste.

«Il y a une grosse gêne car cela pourrait arriver en France. Il y a des similitudes entre le FN et le parti du progrès norvégien (le parti d'extrême droite dont est issu le tueur d'Oslo - ndlr)», estime Erwan Lecœur. «Siv Jensen, la leader du parti du progrès, ressemble beaucoup à Marine Le Pen, dans son parcours, son virage à gauche après une ligne ultra-libérale.»

Pour le chercheur, «le risque existe qu'un ancien du FN, déçu par Marine Le Pen, s'engage dans un délire de loup solitaire, où se confondent théories du complot, religion, jeux vidéo, références intellectuelles de seconde zone trouvées sur Internet. Ce sont les nouvelles croisades de ces templiers perdus dans les banlieues qui veulent restaurer l'honneur ethnique». Maxime Brunerie, l'auteur d'une tentative manquée d'assassinat contre Jacques Chirac en 2002, n'était-il pas, à la base, issu du MNR de Bruno Mégret? «Le FN, il ne faut pas l'oublier, s'est créé autour d'Ordre nouveau, auquel se sont greffés les catholiques intégristes de Bernard Antony et d'autres groupuscules d'extrême droite», rappelle Erwan Lecœur.



26/07/2011
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