P.S.A. AULNAY grève sous tension (médiapart)
PSA Aulnay: une grève à haute tension paralyse l'usine
Daniel a sauté le pas. Pour la première fois depuis vingt ans de carrière, il fait grève. Lui qui s'est toujours tenu à distance « des syndicats et des emmerdes» a remisé au vestiaire son gris de travail et a rejoint le noyau dur des grévistes (entre 300 et 500 personnes selon les jours) qui paralysent depuis le 16 janvier la production de l'usine automobile PSA d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Depuis quinze jours, il déserte tous les matins à 6 h 27 son poste de montage au grand dam de sa femme et de son chef.
La première, caissière à temps partiel dans un supermarché, craint que, sans le salaire de son mari, le couple ne finisse dans le rouge et ne parvienne pas à rembourser le crédit du pavillon qu'ils ont acheté dans un petit village de l'Oise. Le second, agent de maîtrise, encarté au SIA, le syndicat maison majoritaire, proche de la direction, viscéralement anti-grève, le menace d'être « tricard », « de ne pas être reclassé s'il est pris en photo avec les rouges et les Arabes ».
Implantée dans le 93, le département le plus pauvre d'Île-de-France, à quelques encablures de la cité populaire des « 3000 », PSA Aulnay, 2 800 salariés, condamnée à la fermeture en 2014, est une usine « beur-black-blanc », historiquement marquée par une forte proportion de travailleurs immigrés ou enfants d'immigrés d'Afrique du Nord. Dans les années 1970, une bonne partie de ses ouvriers étaient recrutés directement par Citroën au Maroc ou en Algérie. Quarante ans plus tard, la gestion paternaliste et autoritaire de la direction ainsi que les tensions socio-raciales hantent cette usine qui compte aujourd'hui 49 nationalités.
Daniel, « le blanc de Picardie », refuse de céder aux pressions. À 52 ans, dit-il, il n'a « plus rien à perdre » et « aucune envie d'être recasé à l'usine de Poissy ou ailleurs dans le groupe, car cela voudrait dire déménager, vendre la maison dans une région où il n'y a plus de boulot ». Au début, il était timide, n'osait pas entonner les slogans de la lutte, « PSA, Voyou, Saboteur d'avenir », paniquait au moindre pétard, détonnait au milieu des gros bras et des grandes gueules avec sa maigreur presque maladive.
Deux semaines plus tard, c'est un nouvel homme. « J'ai retrouvé ma dignité », confie-t-il ce mardi 12 février, encore incrédule de participer à l'occupation de son usine. Il est sept heures du matin et la mobilisation s'annonce très forte en ce jour particulier. Au siège de PSA, avenue de la Grande-Armée à Paris, syndicats et direction doivent négocier les modalités du plan social : c'est leur dixième tentative pour dessiner un accord. « Place de la grève », près de la salle de repos de l'usine, plusieurs centaines de grévistes sont rassemblés devant la sono.
Dans quelques minutes, l'assemblée générale conduite par les leaders de la CGT, Jean-Pierre Mercier et Philippe Julien, va démarrer. Et avec elle, la guerre des nerfs recommence. Face aux grévistes, depuis quinze jours, « les hommes de la direction » forment des murs de « chasubles jaunes fluo », alignés du matin au soir pour bloquer les endroits stratégiques du site et protéger le matériel et des chaînes de montage à l'arrêt. Impassibles, droits comme des plantons, ces cadres d'Aulnay ou venus en renfort d'autres sites, de Sochaux, Poissy, quadrillent l'usine, escortés par des huissiers de justice, officiellement pour prévenir tout débordement, éviter que le conflit ne dégénère.
Ils sont partout, dedans comme dehors, jusque dans le restaurant d'entreprise où les salariés se plaignent de ne plus pouvoir manger tranquillement. Par grappes de dix ou trente, certains cadres et contremaîtres, avec des bouchons dans les oreilles « pour ne pas devenir fou à force de cris et de bruits », témoigne l'un d'entre eux à visage couvert, prennent des notes, des photos s'il le faut, encerclant au plus près la moindre action, la moindre manifestation dans l'usine, contribuant grandement à tendre le climat explosif. Devant l'ingratitude de la tâche, certains craquent au bout de deux jours.
Pour les syndicats à l'origine du mouvement (la CGT rejointe par Sud et la CFDT), « ces milices internes sont payées double à coup de primes généreuses pour faire le sale boulot, casser la grève, nous inciter à la faute, à la violence, pourrir l'image d'Aulnay et les rapports avec les non-grévistes ». Les grévistes les appellent « les CRS maison », « les jaunes », « les mouchards », « les vendus » : « Et dire que la grève, on la fait pour eux, ils font partie des 11 500 suppressions de poste. Si on gagne un vrai CDI pour tous et de bonnes indemnités de départ, ils gagnent. Si on perd, ils perdent », persifle Daniel.
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Daniel a sauté le pas. Pour la première fois depuis vingt ans de carrière, il fait grève. Lui qui s'est toujours tenu à distance « des syndicats et des emmerdes» a remisé au vestiaire son gris de travail et a rejoint le noyau dur des grévistes (entre 300 et 500 personnes selon les jours) qui paralysent depuis le 16 janvier la production de l'usine automobile PSA d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Depuis quinze jours, il déserte tous les matins à 6 h 27 son poste de montage au grand dam de sa femme et de son chef.
La première, caissière à temps partiel dans un supermarché, craint que, sans le salaire de son mari, le couple ne finisse dans le rouge et ne parvienne pas à rembourser le crédit du pavillon qu'ils ont acheté dans un petit village de l'Oise. Le second, agent de maîtrise, encarté au SIA, le syndicat maison majoritaire, proche de la direction, viscéralement anti-grève, le menace d'être « tricard », « de ne pas être reclassé s'il est pris en photo avec les rouges et les Arabes ».
Implantée dans le 93, le département le plus pauvre d'Île-de-France, à quelques encablures de la cité populaire des « 3000 », PSA Aulnay, 2 800 salariés, condamnée à la fermeture en 2014, est une usine « beur-black-blanc », historiquement marquée par une forte proportion de travailleurs immigrés ou enfants d'immigrés d'Afrique du Nord. Dans les années 1970, une bonne partie de ses ouvriers étaient recrutés directement par Citroën au Maroc ou en Algérie. Quarante ans plus tard, la gestion paternaliste et autoritaire de la direction ainsi que les tensions socio-raciales hantent cette usine qui compte aujourd'hui 49 nationalités.
Daniel, « le blanc de Picardie », refuse de céder aux pressions. À 52 ans, dit-il, il n'a « plus rien à perdre » et « aucune envie d'être recasé à l'usine de Poissy ou ailleurs dans le groupe, car cela voudrait dire déménager, vendre la maison dans une région où il n'y a plus de boulot ». Au début, il était timide, n'osait pas entonner les slogans de la lutte, « PSA, Voyou, Saboteur d'avenir », paniquait au moindre pétard, détonnait au milieu des gros bras et des grandes gueules avec sa maigreur presque maladive.
Deux semaines plus tard, c'est un nouvel homme. « J'ai retrouvé ma dignité », confie-t-il ce mardi 12 février, encore incrédule de participer à l'occupation de son usine. Il est sept heures du matin et la mobilisation s'annonce très forte en ce jour particulier. Au siège de PSA, avenue de la Grande-Armée à Paris, syndicats et direction doivent négocier les modalités du plan social : c'est leur dixième tentative pour dessiner un accord. « Place de la grève », près de la salle de repos de l'usine, plusieurs centaines de grévistes sont rassemblés devant la sono.
Dans quelques minutes, l'assemblée générale conduite par les leaders de la CGT, Jean-Pierre Mercier et Philippe Julien, va démarrer. Et avec elle, la guerre des nerfs recommence. Face aux grévistes, depuis quinze jours, « les hommes de la direction » forment des murs de « chasubles jaunes fluo », alignés du matin au soir pour bloquer les endroits stratégiques du site et protéger le matériel et des chaînes de montage à l'arrêt. Impassibles, droits comme des plantons, ces cadres d'Aulnay ou venus en renfort d'autres sites, de Sochaux, Poissy, quadrillent l'usine, escortés par des huissiers de justice, officiellement pour prévenir tout débordement, éviter que le conflit ne dégénère.
Ils sont partout, dedans comme dehors, jusque dans le restaurant d'entreprise où les salariés se plaignent de ne plus pouvoir manger tranquillement. Par grappes de dix ou trente, certains cadres et contremaîtres, avec des bouchons dans les oreilles « pour ne pas devenir fou à force de cris et de bruits », témoigne l'un d'entre eux à visage couvert, prennent des notes, des photos s'il le faut, encerclant au plus près la moindre action, la moindre manifestation dans l'usine, contribuant grandement à tendre le climat explosif. Devant l'ingratitude de la tâche, certains craquent au bout de deux jours.
Pour les syndicats à l'origine du mouvement (la CGT rejointe par Sud et la CFDT), « ces milices internes sont payées double à coup de primes généreuses pour faire le sale boulot, casser la grève, nous inciter à la faute, à la violence, pourrir l'image d'Aulnay et les rapports avec les non-grévistes ». Les grévistes les appellent « les CRS maison », « les jaunes », « les mouchards », « les vendus » : « Et dire que la grève, on la fait pour eux, ils font partie des 11 500 suppressions de poste. Si on gagne un vrai CDI pour tous et de bonnes indemnités de départ, ils gagnent. Si on perd, ils perdent », persifle Daniel.
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Daniel a sauté le pas. Pour la première fois depuis vingt ans de carrière, il fait grève. Lui qui s'est toujours tenu à distance « des syndicats et des emmerdes» a remisé au vestiaire son gris de travail et a rejoint le noyau dur des grévistes (entre 300 et 500 personnes selon les jours) qui paralysent depuis le 16 janvier la production de l'usine automobile PSA d'Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Depuis quinze jours, il déserte tous les matins à 6 h 27 son poste de montage au grand dam de sa femme et de son chef.
La première, caissière à temps partiel dans un supermarché, craint que, sans le salaire de son mari, le couple ne finisse dans le rouge et ne parvienne pas à rembourser le crédit du pavillon qu'ils ont acheté dans un petit village de l'Oise. Le second, agent de maîtrise, encarté au SIA, le syndicat maison majoritaire, proche de la direction, viscéralement anti-grève, le menace d'être « tricard », « de ne pas être reclassé s'il est pris en photo avec les rouges et les Arabes ».
Implantée dans le 93, le département le plus pauvre d'Île-de-France, à quelques encablures de la cité populaire des « 3000 », PSA Aulnay, 2 800 salariés, condamnée à la fermeture en 2014, est une usine « beur-black-blanc », historiquement marquée par une forte proportion de travailleurs immigrés ou enfants d'immigrés d'Afrique du Nord. Dans les années 1970, une bonne partie de ses ouvriers étaient recrutés directement par Citroën au Maroc ou en Algérie. Quarante ans plus tard, la gestion paternaliste et autoritaire de la direction ainsi que les tensions socio-raciales hantent cette usine qui compte aujourd'hui 49 nationalités.
Daniel, « le blanc de Picardie », refuse de céder aux pressions. À 52 ans, dit-il, il n'a « plus rien à perdre » et « aucune envie d'être recasé à l'usine de Poissy ou ailleurs dans le groupe, car cela voudrait dire déménager, vendre la maison dans une région où il n'y a plus de boulot ». Au début, il était timide, n'osait pas entonner les slogans de la lutte, « PSA, Voyou, Saboteur d'avenir », paniquait au moindre pétard, détonnait au milieu des gros bras et des grandes gueules avec sa maigreur presque maladive.
Deux semaines plus tard, c'est un nouvel homme. « J'ai retrouvé ma dignité », confie-t-il ce mardi 12 février, encore incrédule de participer à l'occupation de son usine. Il est sept heures du matin et la mobilisation s'annonce très forte en ce jour particulier. Au siège de PSA, avenue de la Grande-Armée à Paris, syndicats et direction doivent négocier les modalités du plan social : c'est leur dixième tentative pour dessiner un accord. « Place de la grève », près de la salle de repos de l'usine, plusieurs centaines de grévistes sont rassemblés devant la sono.
Dans quelques minutes, l'assemblée générale conduite par les leaders de la CGT, Jean-Pierre Mercier et Philippe Julien, va démarrer. Et avec elle, la guerre des nerfs recommence. Face aux grévistes, depuis quinze jours, « les hommes de la direction » forment des murs de « chasubles jaunes fluo », alignés du matin au soir pour bloquer les endroits stratégiques du site et protéger le matériel et des chaînes de montage à l'arrêt. Impassibles, droits comme des plantons, ces cadres d'Aulnay ou venus en renfort d'autres sites, de Sochaux, Poissy, quadrillent l'usine, escortés par des huissiers de justice, officiellement pour prévenir tout débordement, éviter que le conflit ne dégénère.
Ils sont partout, dedans comme dehors, jusque dans le restaurant d'entreprise où les salariés se plaignent de ne plus pouvoir manger tranquillement. Par grappes de dix ou trente, certains cadres et contremaîtres, avec des bouchons dans les oreilles « pour ne pas devenir fou à force de cris et de bruits », témoigne l'un d'entre eux à visage couvert, prennent des notes, des photos s'il le faut, encerclant au plus près la moindre action, la moindre manifestation dans l'usine, contribuant grandement à tendre le climat explosif. Devant l'ingratitude de la tâche, certains craquent au bout de deux jours.
Pour les syndicats à l'origine du mouvement (la CGT rejointe par Sud et la CFDT), « ces milices internes sont payées double à coup de primes généreuses pour faire le sale boulot, casser la grève, nous inciter à la faute, à la violence, pourrir l'image d'Aulnay et les rapports avec les non-grévistes ». Les grévistes les appellent « les CRS maison », « les jaunes », « les mouchards », « les vendus » : « Et dire que la grève, on la fait pour eux, ils font partie des 11 500 suppressions de poste. Si on gagne un vrai CDI pour tous et de bonnes indemnités de départ, ils gagnent. Si on perd, ils perdent », persifle Daniel.
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