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ORANGE INSTALLE LA CENSURE DANS SA FILIALE CINEMA

Orange installe la censure dans sa filiale cinéma (médiapart1)

|  Par Michaël Hajdenberg

Des pressions ont été exercées au nom du président d’Orange, Stéphane Richard, sur la directrice de la filiale cinéma du groupe, pour qu’elle renonce au financement d’un film qui déplaisait à Pierre Bergé, actionnaire du Monde. Le groupe voulait s'attirer les bonnes grâces du quotidien dans l'affaire Tapie, qui met en cause… Stéphane Richard. La directrice, qui refusait la censure, a depuis été remerciée.

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Chez Orange, la censure, ce n’est pas du cinéma. Selon des documents auxquels Mediapart a eu accès, les intérêts personnels du président du groupe Stéphane Richard interfèrent avec la ligne éditoriale. Fin 2013, à un moment où le journal Le Monde publiait plusieurs articles sur l’affaire Tapie incriminant Stéphane Richard, il a été demandé à la directrice générale de la filiale Frédérique Dumas de renoncer à financer un film sur Yves Saint Laurent, celui que préparait Bertrand Bonello, pour ne pas « s’attirer les foudres » de Pierre Bergé, actionnaire du quotidien supposé peser sur la ligne éditoriale, et ancien compagnon du célèbre couturier.

Frédérique Dumas, productrice très respectée dans le milieu, a alors refusé de sacrifier un projet artistique au profit des intérêts privés du P-DG. Le 7 février 2014, elle a été révoquée. Déjà, en 2011, la filiale Orange Studio s’était vu interdire par la direction du groupe de financer tout « film politique ». La décision avait été prise après deux longs-métrages de Mathieu Kassovitz (L'Ordre et la morale) et de Nicolas Hulot (Le Syndrome du Titanic), jugés trop dérangeants. Les producteurs et réalisateurs, à qui nous avons appris ces ingérences, se disent choqués. Orange tente de minimiser.

Stéphane Richard, P-DG d'OrangeStéphane Richard, P-DG d'Orange © Reuters

En juin 2013, Stéphane Richard est au cœur d’une tempête judiciaire et médiatique, largement chroniquée sur Mediapart depuis 2008. Le journal Le Monde publie plusieurs articles qui décrivent le rôle de l’ancien directeur de cabinet de la ministre de l’économie Christine Lagarde lors de l’arbitrage favorable rendu à Bernard Tapie en 2008 dans l’affaire Adidas. En un mois, une trentaine de papiers relatant les évolutions de l’enquête judiciaire en cours évoquent les responsabilités de celui qui est entretemps devenu P-DG d’Orange. Le 13 juin, un article est titré : « L’avenir de Stéphane Richard à la tête d’Orange en question ». Le 17 juin, « Amère et troublée, Mme Lagarde se défausse sur M. Richard, son ex-collaborateur ». Le 18, « M. Richard aux policiers : “C'est Mme Lagarde qui a donné [son] accord” en faveur de l'arbitrage ».

Ce même 18 juin, en fin d’après-midi, Frédérique Dumas, directrice d’Orange Studio (anciennement appelée Studio 37) depuis sa création en 2007 reçoit un message sur la boîte vocale de son téléphone. Celle qui a coproduit des films comme The Artist, Les Beaux Gosses, Gainsbourg vie héroïque ou encore Welcome, entend la voix de Xavier Couture, conseiller spécial du P-DG d’Orange Stéphane Richard lui dire ceci :

© DR

 

Voici la retranscription du message de Xavier Couture :

« Oui, Frédérique, c’est Xavier, écoute, on discutait avec Stéphane, de la problématique du Monde au sens le plus large avant que, voilà, que j’essaie de convaincre les journalistes du Monde d’être un peu plus gentils avec Stéphane, et pas de faire un feuilleton avec une histoire qu’on aimerait bien voir retomber. Je pense qu’il serait utile de réfléchir à deux fois avant de financer le film sur Yves Saint Laurent qui est très contesté par Pierre Bergé comme tu le sais, voilà. Donc ça n’a pas un lien de cause à effet immédiat, mais je pense que c’est peut-être pas utile en ce moment de s’attirer les foudres de Pierre Bergé. Donc je ne sais pas où tu en es sur ce film. On me dit que Orange Studio aurait l’intention de le produire, or à ce stade Stéphane n’est pas vraiment favorable voilà, écoute tu peux me rappeler quand tu veux. Je t’embrasse. »

Orange Studio coproduit en effet le film à hauteur de 1,3 million d'euros – une autre société de production, Europa Corp, investit la même somme. Mais au mépris de la liberté éditoriale d’une filiale censée être indépendante et pour préserver les intérêts privés de Stéphane Richard, il est demandé à Frédérique Dumas de renoncer à financer le long-métrage de Bertrand Bonello. Le tout pour satisfaire Pierre Bergé, dont on suppute qu'il exerce une influence sur le contenu des articles du Monde, et dont tout le monde sait à l’époque qu’il privilégie un autre film sur Yves Saint Laurent, signé Jalil Lespert, comme Mediapart l’a déjà raconté.

Afin de confirmer l’authenticité de l’enregistrement et d’obtenir des explications, Mediapart appelle donc Xavier Couture pour lui demander s’il a bien laissé un message de ce type. Réponse de l’intéressé : « C’est ridicule. J’ai été journaliste, éditeur de presse. Vous imaginez la rédaction du Monde et les journalistes qui suivent ces dossiers en recevant un appel de Pierre Bergé sur le thème “Calmez-vous” ? Ça n’existe pas. Je ne suis ni naïf ni idiot. »

Xavier Couture explique : « Je suis depuis très longtemps lié à Pierre Bergé. Il était le promoteur du film de Jalil Laspert sur Yves Saint Laurent. Il considérait que l’autre film en élaboration n’était pas conforme à l’idée qu’il se faisait d’Yves Saint Laurent. Il s’est permis de m’appeler en me disant amicalement qu’il n’était pas favorable à ce qu’on le soutienne. »  

Xavier Couture conteste d’abord l’existence même du message, évoquant une « création ». Puis quand on lui lit mot à mot, il tempère : « Ça me paraît assez bénin. Si on peut s’éviter de se mettre Pierre à dos, c’est aussi bien. Stéphane n’était peut-être pas favorable à ce qu’on mette Pierre Bergé de mauvaise humeur. On est tous copains avec lui. La belle affaire. »

Pour Xavier Couture, « ce serait fort si on avait renoncé au film. Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas un ordre, assure-t-il. J’ai demandé à ce qu’on réfléchisse. On a réfléchi. On a fait le film. Il y a zéro problème ».

Mais pourquoi avoir tenté ? Pourquoi mentionner Le Monde s’il ne s’agissait pas d’obtenir des faveurs éditoriales ? Pourquoi faire passer les intérêts privés du P-DG avant ceux de son entreprise, qui avait décidé de faire le film ? « C’est une ignominie à laquelle je ne peux qu’apporter une récusation formelle. Je porterai plainte en diffamation. Il va falloir que vous fassiez la preuve que j’ai tenu ces propos. »



01/03/2014
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