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N.D des landes: deuxième partie de la manifestion, le vrai scénario

Notre-Dame-des-Landes : le vrai scénario de la manifestation contre le projet d’aéroport(médiapart 2)

|  Par Louise Fessard et Jade Lindgaard

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Un jeune charpentier a perdu son œil

Combien de militants de culture « black bloc » se trouvent-ils dans les rues de Nantes ? À vue d’œil, très peu. Quelques dizaines au maximum. On semble les reconnaître à leur organisation bien rodée. Le visage entièrement recouvert, ils changent de vêtements sous une tente pour mieux se dissimuler quand ils quittent les lieux, et transportent leur matériel en caddies de supermarché. « Il y avait des groupes hyper organisés, habillés en noir avec des sacs à dos, on en a vu certains retirer leurs vêtements pour les mettre au feu », dit Caroline de Benedetti, présente dans le cortège et qui s’occupe du magazine L’Indic. Mais autour d’eux, parmi les lanceurs de projectiles, on voit de nombreux jeunes bien moins préparés. Leur visage est apparent, parfois même sans capuches. Certains portent des drapeaux bretons, sans rapport avec les habituels étendards anarchistes. Impossible de les relier au black bloc, et encore moins à l’« ultra gauche » désignée par Manuel Valls. Cette expression, notamment popularisée par le criminologue Alain Bauer – et ami de trente ans du ministre de l’intérieur – ne recoupe aucune réalité sociologique avérée dans les mouvements politiques radicaux, beaucoup trop épars et autonomes les uns des autres. Elle avait servi au ministère de l’intérieur alors tenu par Nicolas Sarkozy, au moment de l’affaire de Tarnac. La préfecture agite quant à elle le chiffre d'un millier de personnes, ayant « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la Zad, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black bloc ». Car Patrick Lapouze en est persuadé : « Ce que j'ai vu à Nantes hier, c'est ce que je vois depuis des années sur la Zad. On estime que le nombre de gens qui y sont actuellement est de 200, mais le nombre total de ceux qui y tournent est de l'ordre d'un millier. »

Pour Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa Police, les événements n’avaient rien d’imprévisible. « C’est un remake du sommet de l’OTAN à Strasbourg (en 2009, ndlr) avec des petits groupes très organisés, hyper-violents, dont on connaît très bien le mode d’action, explique-t-il. Ils arrivent, ils cassent en sachant d’avance où ils vont taper, puis ils s’en prennent à la police. On aurait pu les arrêter bien avant. Mais on a senti un flottement sur les instructions samedi, avec des ordres et des contre-ordres. Un commissariat en feu, ce n’est pas normal. »

Françoise Verchère, conseillère générale du Parti de gauche et l'une des responsables du collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (le Cédépa), parle, elle, carrément de « manipulation pour essayer de justifier le projet d’aéroport » : « Dès le samedi matin, en arrivant à l’aéroport de Nantes avec les tracteurs, les policiers nous ont dit que les black blocs allaient gâcher notre manifestation », explique-t-elle, jointe par téléphone. Dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur, elle s’étonne donc que ces casseurs, manifestement attendus par les autorités, n’aient pas été arrêtés avant leur arrivée. Impossible, pour des raisons matérielles et de respect des libertés, de filtrer les casseurs parmi « les 20 000 personnes qui sont rentrées dans Nantes samedi pour une manifestation qui n'était pas interdite », prétend le directeur de cabinet du préfet. « Il fallait mettre 25 000 militaires autour de Nantes pour faire des barrages ? » rétorque-t-il.

Côté forces de l’ordre, la préfecture de Loire-Atlantique compte 27 personnes (13 CRS et 14 gendarmes) admises au CHU, sans plus de détails. Côté manifestants, le décompte est moins précis : une quarantaine de personnes auraient été admises. Au moins deux ont fini au CHU avec de graves blessures au visage suite à des tirs. Un jeune charpentier cordiste de 29 ans, Quentin Torselli, a perdu son œil (voir ici ce billet de blog). « L’œil est crevé et l’os ainsi que le nez sont cassés en plusieurs endroits, c’est très douloureux », explique-t-il, joint par téléphone au CHU de Nantes. Il a été touché vers 19 heures place de la Petite Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. « J’ai fait la manifestation avec tout le monde jusqu’au Cours des 50-otages qui était bloqué, raconte Quentin Torselli. Les CRS tiraient lacrymos, grenades et flashballs en tir tendu en se protégeant derrière quelqu’un d’autre. J’allais pour partir quand j’ai été touché et j’ai perdu connaissance. »

Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché. Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché. © Yves Monteil

Pour Yves Monteil, photographe indépendant et membre de Citizen Nantes, témoin de la scène : « C’était : jets de pierres et de bouteilles contre tirs de lacrymos et de flashball. ». Il ajoute que « le manifestant blessé a été évacué dans une rue adjacente, au moment où le cordon de CRS avançait dans l’allée principale. Alors qu’une vingtaine de personnes levaient les bras en disant “Arrêtez, il y a un blessé”, les CRS ont continué à progresser dans cette rue adjacente en envoyant des lacrymos et des grenades ».

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Retrouver ici notre dossier Flashball

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La préfecture indique que seuls des LBD 40*46, des Flashball deuxième génération plus puissants et précis, ont été utilisés. Quentin Torselli, qui se définit comme un «citoyen, pas spécialement militant», a d’abord pensé à une grenade assourdissante «à cause du bruit». «Je me rappelle d’un grand bruit et d’un grand choc, qui correspond en fait sans doute à l’éclatement de mon œil, indique-t-il. Un médecin m’a dit que les lésions correspondent à un tir de Flashball et on n’a pas retrouvé d’éclat de grenade.» Selon Yves Monteil, un autre manifestant, lui aussi blessé au visage par un tir, a été pris en charge par les secours près du CHU à peu près au même moment. «Il a pris un tir de Flashball dans le nez dans le même quart d’heure», affirme le photographe. De son côté, Quentin Torselli a effectivement croisé «quelqu’un qui a été blessé à l’œil» en se rendant au scanner. Contacté, le CHU de Nantes n’a pas souhaité confirmer.

«La réaction policière est disproportionnée, réagit le jeune charpentier. Ces armes, Flashball, grenades assourdissantes, sont dangereuses et n’ont pas leur place dans des manifestations.» Il envisage des suites juridiques, au pénal ou devant le tribunal administratif «ne serait-ce que pour ne plus que ça arrive à d’autres». En France, selon notre décompte, une vingtaine de personnes ont été grièvement blessées par des lanceurs de balle de défense depuis 2004. «Sans surprise, la liste des blessés et des éborgnés ne cesse de s’allonger», note le collectif «Face aux armes de la police». Sans aucune réaction du ministère de l’intérieur, malgré les mises en garde à répétition de feu la CNDS puis du Défenseur des droits. « Il n'était pas masqué, pas armé, en train de reculer face à une charge, s’indigne sa mère NathalieTorselli. J'ai une tristesse infinie, une rage qu'un gosse qui est là pacifiquement pour manifester son désaccord se retrouve dézingué. Il n'a rien fait que d'être là. »

Le maire de Nantes Patrick Rimbert (PS) a indiqué dimanche qu'il allait porter plainte contre X pour tous les dégâts causés par la manifestation. Contactée lundi, la procureure de la République, Brigitte Lamy, indiquait n’avoir pour l’instant reçu aucune plainte.

A la suite de ces débordements, le préfet de Loire-Atlantique Christian de Lavernée, a accusé les associations d’opposants d’être devenues « la vitrine légale d'un mouvement armé », expression qui s’applique habituellement aux mouvements indépendentistes en lien avec des groupes pratiquant la lutte armée, au pays basque, en Corse ou en Irlande. Dans un premier temps, les organisateurs de la manifestation ont publié un communiqué plutôt conciliant vis à vis des heurts de samedi : « Il existe différentes manières de s'exprimer dans ce mouvement. Le gouvernement est sourd à la contestation anti-aéroport, il n'est pas
étonnant qu'une certaine colère s'exprime. Que pourrait-il se passer en cas de nouvelle intervention sur la zad ?».  En réalité, les organisateurs de la manifestation sont divisés. Avant de repartir de Nantes, plusieurs comités locaux de soutien aux opposants leur ont demandé de condamner plus fermement les violences. L’Acipa, l’association historique d’opposants, tient une réunion exceptionnelledès lundi soir. Et prévoit de tenir une conférence de presse  à ce sujet jeudi prochain.

« L’unité de l’action et de l’opposition se vit tous les jours sur la zone, considère Julien Durand. Nous sortons de six mois d’occupation militaire, qui a occasioné la destruction de maisons, d’outils de travail, la pression militaire sur les habitants de la zone. J’appelle à mettre à leur juste place les dégradations matérielles de samedi par rapport aux préjudices physiques que nous avons connus. Parmi nous, certains ont perdu un oeil et ont eu des orteils arrachés». Le dossier de l’aéroport de la discorde est aujourd’hui en stand-by : la préfecture de Loire-Atlantique a publié fin 2013 les décrets nécessaires à l’ouverture des travaux mais aucune intervention n’est attendue sur le terrain avant les imminentes élections municipales et européennes.

 



24/02/2014
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