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MARINE LE PEN : LE MAUVAIS REVE FRANCAIS

Marine Le Pen, le « mauvais » rêve français (médiapart 2/3)

|  Par christian salmon

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Le FN n’a jamais posé les bonnes questions

Loin d’être paralysé par ses contradictions, le FN s’enrichit depuis trente ans de ses appartenances idéologiques successives. Il agrège les clientèles successives que les crises politiques, économiques, sociales vont lui servir sur un plateau. À chaque étape, ses perdants : les « petites gens » du poujadisme contre les « gros », le fisc, les notables et les intellectuels. Puis ce sont les perdants de la colonisation, les rapatriés d’Afrique du Nord qui vont fournir les bataillons électoraux du FN avant que les crises économiques et financières qui se sont succédé depuis trente ans, ne viennent grossir ses rangs des perdants de la mondialisation.

L’habileté du FN a consisté à offrir à tous ses perdants non pas un programme politique susceptible d’améliorer leur situation, mais des boucs émissaires commodes pour étancher leur soif de revanche. À chaque perdant son pendant : aux rapatriés les immigrés, aux Français les étrangers avec ou sans papiers, aux honnêtes travailleurs les assistés, tous fraudeurs de l’État-providence, aux chômeurs (français) les ouvriers chinois ou coréens coupables de dumping social, aux nationaux les élites mondialisées, les bureaucrates européens, le pouvoir occulte des marchés et des banquiers… La xénophobie du FN est donc moins le fait d’un racisme congénital qu’il faudrait combattre au nom des valeurs républicaines, qu'un prisme permettant de reconfigurer la société, en traçant une frontière entre les honnêtes contributeurs et les profiteurs du modèle social français de sorte que sauver ce dernier imposerait de traquer sans relâche ceux qui sont réputés le menacer.

La formule de Poujade – « Le Pen c’est le drapeau national sur le tiroir-caisse » – n’est pas qu’une simple formule, il dévoile le mode opératoire du Front national depuis trente ans. Il recycle les frustrations en bulletins de vote. Il estampille les peurs. C’est une « franchise », une marque déposée qui « fixe » sous un label commun (le drapeau national) les électorats volatils, les causes perdues : les plus anciennes, compromises dans les guerres coloniales et l’anticommunisme, comme les nouvelles, engagées contre les élites mondialisées ; les plus ringardes, qui méritent d’être rangées sur l’étal des brocanteurs de Check Point Charlie avec les insignes et les uniformes de l’armée Rouge, comme les plus branchées qui inspirent le storytelling de ce FN new look et de sa présidente ultra-marine, que les magazines people n’en finissent pas de vendre et de commenter. De Maurras à l’Algérie française, du fascisme d’entre deux guerres au vieux fond pétainiste, du néolibéralisme reaganien au souverainisme de gauche comme de droite. Le FN, c'est le parti de la protection nationale qui promet à la fois « le retour à la maison » du franc et la mobilisation patriotique contre les envahisseurs qu’il s’agisse d’immigrés, de marchandises ou de capitaux… Tout ce qui bouge !

C’est sans doute la pire des mystifications frontistes, Marine Le Pen n’incarne en rien une alternative au « système », mais elle en est le révélateur au sens heuristique. Le Front national est depuis trente ans « la chambre noire » de l’idéologie dominante. C’est le laboratoire d’un modèle de gestion « autoritaire » de la crise. Naissance d’un Tea Party à la française.

Marine Le Pen peut tout à loisir braconner sur les terres de gauche comme de droite, empruntant à la gauche la critique de la mondialisation néolibérale et à la droite néolibérale sa dénonciation des immigrés profiteurs, des Roms sans foi ni loi, des fraudeurs de l’État-providence. Loin de combattre ces thèmes, la gauche les a validés depuis les prétendues « bonnes questions » que posait le FN dans les années 1980 sur l’immigration jusqu'au programme de « redressement national » que défend aujourd’hui « la gauche populaire », sans oublier la partition cocardienne claironnée par les trompettes de la gauche et de la droite réunies sur le thème « ne laissons pas au Front national le monopole de l’identité, de la Nation, de la sécurité, de l’immigration ».

Faut-il donc les partager avec lui ? C’est la rhétorique bien connue du « monopole », utilisée par certains intellectuels comme Alain Finkielkraut en cette rentrée, qui aboutit à légitimer les fantasmes du Front national et à adopter jusqu’à son langage. Faute de proposer une alternative au national-chauvisnisme du FN, celui-ci a gagné les esprits de ceux-là mêmes qui prétendaient le combattre : ils parlent comme lui, brandissent des drapeaux tricolores, chassent les Roms de leurs bidonvilles et s’interrogent gravement sur leur « identité malheureuse ».

Le FN n’a jamais posé les bonnes questions, bien au contraire, c’est son pouvoir de désorientation, de diversion qui lui vaut le succès que l’on sait depuis trente ans. Il pose mal les questions qui se posent, auxquelles la gauche et la droite ne trouvent pas de réponse. Il cadre le débat, en dicte les termes, réalisant une forme d’ensorcellement du débat public qui condamne la gauche et la droite au rôle de suivistes et d’amplificateurs. Faute d’avoir chassé le diable, faute de l’avoir vaincu sur le plan des idées, c’est l'écart entre le Diable et le Bon Dieu qui s'estompe sous nos yeux jusqu'à disparaître dans un grand consensus national-sécuritaire en voie de constitution. D'où la dernière bataille sémantique menée par Marine Le Pen, qui vise pour son parti une place non plus à l'extrême droite mais au centre de la vie politique.

Maintenu aux marges du système électoral, le diable hante la conscience démocratique ; c’est le mauvais rêve de la société française traumatisée par la débâcle de 1940. C’est la mauvaise conscience du « pétainisme » et de la collaboration. C’est la « honte » de la torture en Algérie et qui lui survit. C’est le membre fantôme de l’Empire déchiqueté par les guerres d’indépendance. Non pas un « pétainisme transcendantal » à la Alain Badiou qui referait surface comme une source claire faute d’être combattue, ce qui serait après tout lui faire beaucoup d’honneur. C’est le (mauvais) rêve français qui agite la nuit démocratique avec son cortège de signes et d’emblèmes ; vestiges des vieux combats idéologiques du siècle : casques coloniaux, croix celtiques colorisées en bleu blanc rouge, statues de Jeanne d’Arc… et son peuple de spectres : les vaincus de l’histoire nationale qui crient vengeance : anciens de l’Algérie française, catholiques traditionalistes, nationaux révolutionnaires, royalistes, dont certains sont réapparus lors des manifestations contre le mariage pour tous.



14/10/2013
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