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MARIAGE HOMOSEXUEL : prétexte à la guerre scolaire ?

Mariage homosexuel : un nouvel épisode de la «guerre scolaire» ? (libération)voir autres articles du laulaublog dans les pages intérieures sur le mariage pour tous et notes à la fin de l'article

8 janvier 2013 à 07:28 (Mis à jour: 11:00)
Manifestation pour l'école libre, le 24 juin 1984.
Manifestation pour l'école libre, le 24 juin 1984. (Photo AFP)
8 janvier 2013 à 07:28 (Mis à jour: 1

Récit Partisans de l'école laïque et défenseurs de l'enseignement privé s'opposent régulièrement depuis deux siècles. La polémique du moment entre Vincent Peillon et les milieux catholiques marque-t-elle un renouveau des tensions ?

Par SYLVAIN MOUILLARD

Les débats autour du projet de loi sur le mariage pour tous réveillent de vieux démons. En particulier sur le thème de la «guerre scolaire», qui oppose la République et l’Eglise catholique depuis la Révolution française. Le ministre de l’Education, Vincent Peillon, a allumé la mèche en écrivant aux recteurs d’académie, leur demandant «la plus grande vigilance» vis-à-vis des établissements privés. Jugeant qu’il n’est «pas opportun d’importer dans l'école le débat sur le mariage pour tous», le ministre a cependant tempéré : «Je promeus dans ce pays une laïcité ouverte, il n’y aura pas de guerre scolaire.»

Une précision qui n’a pas rassuré plusieurs responsables de droite. Christine Boutin y voit une nouvelle preuve de la «cathophobie» gouvernementale. Laurent Wauquiez dénonce une tentative de «faire culpabiliser les chrétiens». Quant à Luc Chatel, ancien locataire de la rue de Grenelle, il évoque une «dérive préoccupante».

En filigrane, on retrouve un dénominateur commun : la «guerre scolaire». Le vocable désigne, en France, l’affrontement plus que centenaire entre les enseignements laïc et confessionnel. Eclairage avec deux spécialistes de la question, Claude Lelièvre et Bruno Poucet (1). Qui tiennent à cependant relativiser : la situation actuelle relève bien plus de la polémique passagère que de la querelle de fond.

Les origines

La révolution de 1789 marque la fin du quasi monopole de l’enseignement catholique sur l'école. A partir de cette date, chaque camp s’efforce d'étendre sa sphère d’influence. La loi Falloux, votée en 1850, constitue une première escarmouche. Celle-ci met fin au monopole d’Etat sur les écoles du secondaire. «Ce texte était considéré comme très réactionnaire par les républicains car il réinstallait de plein droit des établissements catholiques, qui étaient auparavant sous le contrôle de l’Etat», éclaire Claude Lelièvre.

Première bataille : les lois Ferry

Les lois Ferry votées en 1881-1882 marquent l’installation par la république d’une école publique laïque, gratuite et obligatoire dans le primaire. «L’Eglise catholique a dû prendre acte de cette décision qui la privait d’une partie de son influence, rappelle Claude Lelièvre. Mais elle a aussi déclenché une contre-offensive en 1883, appelée "guerre des manuels".» L’Eglise tente alors de censurer certains ouvrages des écoles publiques, notamment des livres de morale et d'éducation civique.

Portrait non daté de Jules Ferry (AFP)

Deuxième bataille : la loi Emile Combes

Président du conseil de 1902 à 1905, le radical Emile Combes interdit aux congrégations religieuses d’enseigner dans les écoles privées. «L’Eglise se sent agressée, raconte Claude Lelièvre. Elle perd la moitié des filles sous son contrôle, passant de 50 à 25% des effectifs.» En réaction, les institutions catholiques lancent une deuxième «guerre des manuels». Cette fois, les responsables religieux exigent des ouvrages complètement neutres à l'école. «C’est la première fois que l’Eglise reconnaît en creux la neutralité de l'école publique, tout simplement parce qu’une bonne partie de ses ouailles y allait !», souligne Claude Lelièvre.

Au début du XXe siècle, la «guerre scolaire» divise de plus en plus la société française : face à l’anticléricalisme d’une partie de la classe politique, prêtres et évêques multiplient les prises de position. Les débats sont tout aussi vifs à l’Assemblée nationale et dans la presse. Les premières associations de parents d'élèves voient le jour dans les milieux catholiques.

L’après-Seconde guerre mondiale

Durant l’Occupation, le régime de Vichy accorde pour la première fois des aides financières aux écoles catholiques. A la Libération, la mesure n’est pas remise en cause : «Certes, ce n'était pas très bien vu à gauche, mais cette question n'était pas la plus urgente du moment», pointe Claude Lelièvre. Résultat, en 1953, le radical André Marie fait voter une loi accordant des subsides publics à l'école privée. «Mais les sommes restent modestes et la polémique ne se transforme pas en guerre scolaire patentée», relativise Claude Lelièvre.

Quelques années plus tard, le dossier connaît une nouvelle évolution, sous l’influence de De Gaulle. Considérant que «l’affrontement public-privé doit être dépassé», le chef de l’Etat décide de financer les établissements privés (notamment en payant les salaires des professeurs) sous conditions. C’est la loi Debré de 1959, celle qui régit encore aujourd’hui l’enseignement sous contrat. «Le contenu des cours doit être exactement le même que dans le public. La vie scolaire, elle, peut avoir un caractère propre», décrypte Claude Lelièvre. Face aux résistances du privé comme du public, De Gaulle menace de dissoudre son gouvernement, ainsi que l’Assemblée nationale. Il obtient finalement gain de cause.

Les affrontements des années 1980-90

Premier épisode, en 1984. Le socialiste Alain Savary veut instituer le monopole public sur l'éducation. Son projet de loi est retiré après une forte mobilisation des milieux catholiques, qui rassemblent entre 500 000 et 2 millions de personnes à Paris. Puis la «guerre scolaire» se ravive en 1993-1994, à l’occasion de la proposition de réforme de la loi Falloux par François Bayrou, ministre de l’Education du gouvernement Balladur. La tentative d’obtenir du public le financement des investissements du privé échoue.

Manifestation à Paris en 1994 pour défendre l'école publique et s’opposer à la révision de la loi Falloux (photo Michel Gangne. AFP)

Et aujourd’hui ?

Assiste-t-on à un nouvel épisode de la «guerre scolaire» ? Non, répondent en chœur Claude Lelièvre et Bruno Poucet. Le premier évoque une «guérilla», le second une simple «polémique». «Le débat actuel porte sur les programmes et les contenus de l’enseignement. Pas sur l’encadrement, les institutions ou le financement, qui ont historiquement été des points vitaux», développe Claude Lelièvre. «Le projet d’Alain Savary et la réforme de la loi Falloux posaient la question de la survie même et de l’interprétation de l’enseignement privé, abonde Bruno Poucet. Ce n’est pas le cas ici.»

Pour le spécialiste, l’initiative d’Eric de Labarre, secrétaire-général de l’enseignement catholique, relève surtout d’une stratégie d’influence. «L'Eglise catholique a aujourd’hui un problème de visibilité. La seule institution qui rassemble beaucoup de monde, c’est l'école privée. Celle-ci pourrait faire vivre le débat sur le mariage pour tous, que l'Eglise a du mal à lancer.»

Claude Lelièvre conclut : «On a bien vu au cours des dernières décennies que celui qui a cru pouvoir faire bouger le curseur sur l’enseignement catholique a perdu. Personne n’a intérêt à laisser entendre qu’il veut régler son compte à l’autre école. 50% des familles françaises ont utilisé pour au moins un de leurs enfants les deux systèmes éducatifs, public ou privé. Les Français veulent pouvoir garder la possibilité du choix.» Au final, estime-t-il, Vincent Peillon pourrait tirer un «avantage politique» de la situation, «s’il ne commet pas de faute». «On voit bien que le camp catholique est divisé sur la question du mariage homosexuel, ajoute-t-il. D’ailleurs, les grands ténors de la droite sont gênés aux entournures. Ils ne veulent pas mettre le doigt là dedans."





08/01/2013
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