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LU DANS MEDIAPART; ECRIRE C"EST SPORTIFpremière partie de l'article

J.O. du livre (1/8) : écrire, c'est sportif

Les Jeux Olympiques du livre (1/8)

Qu'est-ce qui « pourrait justifier mon existence dans sa totalité, ses souffrances aussi bien que ses joies », « être l’horloge de tant de sacrifices, d’entraînements, d’heures de déplacements, de mauvaises nuits et de matinées vides » ? Ainsi s'interroge l'athlète qui ouvre le recueil de nouvelles de Tristan Garcia, En l’absence de classement final, sorti cette année chez Gallimard. L'athlète, en quête du saut parfait, s'imagine « comme une petite peinture, un tableau, une symphonie », « comme un geste qui laisserait ressurgir aux yeux du monde ce qui année après année s’était enfoui en moi. Mais je ne suis pas un peintre, un saut ça ne représente rien. A moins qu’il ne soit parfait ». Et se souvenant d’un saut à Malmö sous la pluie, il prend conscience qu’il était le saut, la perfection désormais derrière lui : « durant la première moitié de sa carrière, on court après le saut parfait ; durant la seconde, on s’aperçoit peu à peu qu’on a déjà sauté le plus loin qu’on pouvait. On court alors en désespoir de cause après ce saut déjà hors de portée. »

Le sport est une forme d’art, sauter, courir, gagner ou perdre tient de l’écriture, du récit, de la fable. Plus qu’un sujet, c'est un mode d’écriture et de lecture du monde et de l’histoire, une mesure du temps (Tristan Garcia) : on pense à la phrase de Giraudoux, champion du 400 mètres, « il n’est pas un héros de Racine qui ne soit pas un sportif » ou aux Olympiques de Montherlant (voir sous l’onglet Prolonger), par ailleurs gardien de but au Stade Français, qui courait le 100 mètres en un peu plus de 11 secondes. Albert Camus, gardien de but du Racing universitaire d'Alger, évoque sa passion du football dans Le premier homme ; Harlan Coben apparie thriller et sport à travers le personnage de Myron Bolitar, agent sportif et ancien du FBI, passant en revue les disciplines (tennis, golf, basket, base-ball) depuis Rupture de contrat (1995) ; Georges Perec imagine W, « fantasme enfantin évoquant une cité régie par l'idéal olympique » dans W ou le souvenir d'enfance. Autant de textes très différents ayant sport et fiction pour dénominateur commun.

Depuis une vingtaine d'années, le sport fait son grand retour en littérature. La fiction sonde le mystère des grands exploits, l’effort, la vie d’« ascèse » (David F. Wallace) d'un athlète de haut niveau. Elle permet de dépasser la « sidération » éprouvée devant le spectacle pour analyser « le signe avancé de cette technique époustouflante », « une forme de décontraction (Platini, ou Zidane) qui peut aller jusqu’à l’élégance (Fédérère) », comme l’écrit Arno Bertina, ou sonder la « mélancolie » d’un Zidane décrit par Jean-Philippe Toussaint. Découvrir un monde réinventé : « avec certains joueurs (au choix : McEnroe, Mecir, Edberg ou Fédérère), on en vient à oublier que le bras et la raquette font deux tant celle-ci prolonge la main sans l’encombrer, sans en compliquer la précision. Le corps du champion invente ou découvre des extensions au corps commun, des compatibilités » (Arno Bertina).

Des sportifs réels deviennent des personnages, comme « Rodgeur Fédérère » dans Je suis une aventure d’Arno Bertina ou Philippe Lucas pour Gilles Bornais qui décrit, dans 8 minutes de ma vie, « les outrances d’un personnage rugueux comme un gangster de ciné-club ». D’autres, totalement fictionnels, se nourrissent d’existences réelles : Alizée, la nageuse de Gilles Bornais, rêve d’un second titre olympique qui ferait d’elle « une légende, mieux que Manaudou, Noah et Zidane », et au-delà une icône de la femme française, tout ensemble « Superwoman, Brigitte Bardot et la tour Eiffel ».

Mais le sportif n’est pas un personnage comme les autres. L'écrivain doit dire la « pâte de ses muscles », la sueur, l’effort, les tensions et tortures infligées aux organismes. C'est la nageuse devenue automate, « métronome » : « Je ne crawlais plus, je surfais, ou mon corps devenait-il, l’espace de ces instants magiques, l’eau elle-même ? » (Gilles Bornais). Dans les piscines où « ça grouille de muscles et de fesses », Alizée s’entraîne « entourée de statues grecques » aux cheveux verts, « javellisés et sulfatés ». C’est le cycliste qui parfois peut « pédaler enfin comme Sartre écrit », « pédaler au bord du rêve » mais aussi à ce point piqué, anabolisé, poussé qu’il ne trouve plus le sommeil entre deux étapes du Tour de France (Paul Fournel). La fiction dit une face cachée dans les salles d’entraînement, les vestiaires, et même dans le cerveau des sportifs pour mettre à jour des forces qui ne sont pas que musculaires



28/07/2012
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