laulaublog

LE PRINTEMPS DES FACHOS

Qui se cache derrière le label «Printemps français» ?

Manifestation des opposants au mariage pour tous, du groupe Civitas, à Paris, le 6 avril 2013.
Manifestation des opposants au mariage pour tous, du groupe Civitas, à Paris, le 6 avril 2013. (Photo Pierre Andrieu. AFP)

Enquête Agrégé autour du combat contre le mariage gay, ce mouvement où se mêlent militants d'extrême droite, catholiques traditionalistes, et identitaires se prend à rêver d'un mois de mai réactionnaire.

Tous parlent d’un «écoeurement grandissant» et revendiquent des actions «plus radicales» face à «l’aveuglement» du gouvernement. Réunis derrière un label commun, «le Printemps français», des activistes proches des réseaux catholiques traditionalistes multiplient les coups d’éclat depuis quelques semaines. Élus socialistes chahutés, local d’association LGBT (lesbien, gay, bi, trans) barbouillé, happenings divers, activisme débordant sur les réseaux sociaux... les sympathisants du Printemps français multiplient les fronts face aux partisans du mariage gay. A leurs yeux, les défilés dominicaux derrière Frigide Barjot ont bel et bien vécu. «La base en a assez de passer pour des Bisounours. Il y a un devoir de désobéissance contre les lois injustes», confie l’avocat Frédéric Pichon, qui défend plusieurs partisans de la radicalisation.

La scission avec les troupes de Frigide Barjot s’est matérialisée le 24 mars. Ce jour-là, une partie des opposants au mariage gay venus manifester à Paris décide de passer outre les consignes préfectorales. Ils quittent le défilé officiel, avenue de la Grande-Armée, et foncent vers les Champs Elysées. Affrontements avec les forces de l’ordre, gaz lacrymogènes... une aubaine pour ces radicaux. Un slogan tourne désormais en boucle : «Des femmes, enfants et vieillards ont été gazés par la police.» Manuel Valls, de son côté, pointe du doigt le rôle de groupes extrémistes, comme le Gud, Renouveau français, ou les Jeunesses nationalistes.

Derrière ce premier esclandre, on retrouve Béatrice Bourges. Candidate divers-droite aux élections législatives de 2002 et 2012, cette Versaillaise d’une cinquantaine d’années est engagée de longue date dans les mouvements anti-mariage gay. En juin 2012, elle faisait de «la sauvegarde des fondements de notre civilisation» la priorité de son programme. Porte-parole du Collectif pour l’enfant, elle a exercé les mêmes fonctions au sein du collectif de la Manif pour tous, avant d’être poussée vers la sortie il y a quelques semaines. «Sollicitée par plusieurs jeunes», elle accepte de devenir l’égérie du Printemps français.

Gandhi et Solidarnosc en modèles

A quoi correspond ce vocable ? L’expression apparaît pour la première fois en début d’année sur des blogs de militants chrétiens. L’avocat Jacques Tremolet de Villers, ancien défenseur du milicien Paul Touvier, la reprend ensuite dans un entretien à Présent, le quotidien des catholiques traditionalistes, allant jusqu’à revendiquer une filiation avec les «printemps arabes». «Ces mouvements ont montré qu’il n’y avait pas besoin d’un gros appareil pour que les gens se mobilisent, explique-t-il à Libération. Il faut que les opposants au mariage se lèvent partout où c’est possible.» Revendiquant l’esprit de «mai 68», Tremolet appelle de ses voeux une «insurrection permanente».

La vidéo signant l'acte de naissance du Printemps français

L’analogie avec les printemps arabes n’est pas faite par hasard. Sur son site Internet, le «Printemps français» détourne également des symboles traditionnels de la gauche — le fameux «On ne lâche rien» du Front de gauche et le poing levé. «Cette rétorsion lexicale est une vieille méthode de l’extrême droite française, analyse Nicolas Lebourg, spécialiste de cette famille politique. Il s’agit d’une contre-subversion symbolique qui permet à ces mouvements d’avoir l’air subversifs tout en étant parfaitement réac.»

Dans sa profession de foi, le «Printemps français» avance ses pions prudemment. Il fait de la «non-violence» un des axes de sa stratégie, mettant en avant des «actions pacifiques, déterminées, joyeuses et insolentes». L’avocat Frédéric Pichon cite des modèles tels que «Gandhi, Solidarnosc, ou la révolution de velours». La réalité est moins apaisée. Car selon les éléments recueillis par Libération et plusieurs autres enquêtes de presse, le Printemps français commence à agréger des groupes radicaux, proches des catholiques traditionalistes ou de l’extrême droite.

Un label fourre-tout

Une évolution qui tient d’abord au statut même du Printemps français. Plus qu’un mouvement organisé, il s’agit avant tout d’un label rassemblant des militants aux engagements divers. Ce côté «fourre-tout» est une de ses forces. «Le Printemps français n’appartient à personne, décrit Béatrice Bourges. C’est un mouvement qui dépasse les associations.» En dehors du site dont le nom de domaine a été acheté par Bourges, le Printemps français n’aurait aucune organisation interne. Pas de réunion, pas de locaux, pas de financement... et pas de statut associatif. De quoi se dédouaner en cas de polémique après une action plus musclée qu’à l’accoutumée, et diluer ainsi les responsabilités.

Mais de toute façon, pour l’égérie du mouvement, il n’y a pas lieu de s’inquiéter : les opérations du Printemps français restent bon enfant. «Est-ce qu’on peut parler de dérapages, de dégradations ? Quand on regarde nos deux dernières actions (le réveil de Chantal Jouanno et le collage aux Blancs-Manteaux, ndlr), je ne crois pas qu’il y ait des débordements.» A en croire l’avocat Frédéric Pichon, tout est parfaitement cadré. «J’interviens parfois en amont pour des conseils juridiques, sur la légalité de telle ou telle action (...). Mais jusque-là, les actions menées ne sont pas qualifiables pénalement. Il s’agit de happenings, non violents.» Pour éviter les récupérations diverses, Béatrice Bourges explique que «seules les actions mise en avant sur le site Internet» seront reconnues comme s’inscrivant dans le cadre du Printemps français.

Peut-on pour autant faire de ce mouvement un simple adepte de l’agit-prop' ? A voir... Le 5 avril, le rapporteur du projet de loi sur le mariage gay, Erwann Binet, était forcé d’annuler une intervention devant des étudiants stéphanois, chahuté par des opposants. Parmi les agitateurs, une quinzaine de membres du groupuscule radical «Jeunesses nationalistes», dont leur président, Alexandre Gabriac. Conseiller régional Rhône-Alpes, l’homme avait été viré du Front National il y a deux ans, après la publication d’un cliché le montrant en train de faire le salut nazi. Sans surprise, le Printemps français prend ses distances avec cet épisode. «Gabriac est un provocateur, le faire-valoir du système pour jouer le rôle du méchant du film», estime Frédéric Pichon. Le principal intéressé, de son côté, affirme pourtant être en contacts réguliers avec la sphère du Printemps français, que ce soit par mails ou SMS. Gabriac juge avoir «toute légitimité à être présent partout.» Et de préciser : «Ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est qu’il est transcourant.»

D’autres mouvements sont sur la même ligne. A l’image du Bloc identitaire, groupe d’extrême droite connu pour ses opérations «soupe au cochon» ou «apéro saucisson-pinard». «Techniquement, on apporte quelques petits conseils au Printemps français, mais pas plus, pas moins que d’autres mouvements», explique-t-on au siège. L’avocat Frédéric Pichon résume : «Nous sommes ouverts à tous les hommes de bonne volonté.»

Les réseaux cathos tradi à la manoeuvre

Mais le gros des troupes du Printemps français est avant tout constitué de réseaux catholiques traditionalistes, à l’image de Renouveau français ou Civitas. Le président de l’institut intégriste, adepte des prières de rues, endosse sans peine la filiation. «Nous revendiquons cette idée de rébellion et de radicalisation du discours, confie Alain Escada. Il s’agit de rompre avec la ligne festive de Frigide Barjot : l’heure est au durcissement. Il faut des comités d’accueil au moindre déplacement ministériel, que les membres du gouvernement soient chahutés par la foule.» Le patron de Civitas prône d’autres actions, comme «encourager les maires à ne pas appliquer la future loi» ou «mettre en place une résistance économique en retirant de manière simultanée l’épargne des livrets A»...

Le Monde a récemment mis en avant le rôle du réseau Ichtus, un institut catholique traditionaliste, dont l’objectif est de pénétrer les sphères laïques pour y transmettre le message de l’Eglise. Son président, Bruno de Saint-Chamas, préfère minorer ses liens avec le Printemps français. «Ce mouvement improvisé me semble très brouillon», dit-il. Une discrétion habituelle, selon le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des mouvements d’extrême droite. «Le mode opératoire d’Ichtus, c’est de miser sur des actions par capillarité en ciblant des personnes qui sont à des postes de décision. Ils cherchent à imprégner les élites de leur message. Cela ne nécessite pas de le crier sur tous les toits.»

Stratégie de recrutement

Autre nom qui apparaît à la manoeuvre, celui de Philippe Darantière (1). Cet ancien parachutiste, reconverti dans l’intelligence économique, aurait, selon Mediapart, «impulsé les débordements de la manifestation du 24 mars». Béatrice Bourges reconnaît qu’il «fait partie du mouvement depuis le début», mais affirme qu’il n’y tient aucun «rôle particulier».

Une question demeure : quelle est l’influence réelle des activistes du Printemps français ? Les actions de quelques dizaines de militants remontés — pour la plupart déjà connus — témoignent-elles d’une montée en puissance ? Jean-Yves Camus ne minore pas le phénomène. «Il existe dans ce pays des réseaux constitués liés à l’Eglise. Cela permet encore de mettre 300 000 personnes dans les rues. Ce n’est pas rien. Pour eux, il s’agit d’un combat civilisationnel pour la défense de l’ordre traditionnel de la société, auquel l’Etat ne saurait contrevenir, sauf à devenir illégitime.»

Nicolas Lebourg y voit de son côté une stratégie de recrutement. «Dans ces milieux, on n’a pas oublié la mobilisation de 1984 contre le projet de loi Savary. L’agitation à l’époque leur avait permis de regonfler les effectifs pour plusieurs années. L’enjeu, pour les milieux catholiques traditionalistes, c’est de savoir s’ils ont la capacité, grâce à ce débat sur le mariage homosexuel, de réimposer leur vision dans une éventuelle recomposition des droites ?»

(1) Contacté à plusieurs reprises par mail et téléphone, Philippe Darantière n’a pas donné suite.

français» ?
Manifestation des opposants au mariage pour tous, du groupe Civitas, à Paris, le 6 avril 2013.
Manifestation des opposants au mariage pour tous, du groupe Civitas, à Paris, le 6 avril 2013. (Photo Pierre Andrieu. AFP)


16/04/2013
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres