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la politique de la peur et l'échec de la politique sécuritaire avec Mediapart

La politique de la peur

| Par Edwy Plenel

L'affaire Merah, une cascade de loupés et de ratés

Mais cette fuite en avant, affolée et précipitée, masque mal un immense embarras. Car autant dire tout net ce que, par précaution gestionnaire ou prudence électorale, les responsables politiques n’osent pas dire trop haut alors qu’ils le pensent tout bas : de bout en bout, cette histoire dramatique est un immense fiasco. Un fiasco sans étiquette politique qui met en cause nombre d’administrations, de services, de professions, de métiers – tout ce tissu de responsabilités et de compétences qui, quand elles fonctionnent de façon harmonieuse, font tenir debout la société, la protègent et la sécurisent. Mais un fiasco particulièrement accablant pour celui qui, depuis dix ans et sa nomination en 2002 au ministère de l’intérieur, prétend incarner la sécurité des Français en faisant de la « culture du résultat » son principe cardinal.

Quand on les récapitule, les « failles » spontanément évoquées par le ministre des affaires étrangères, Alain Juppé (lire ici notre article), se révèlent des gouffres dont la béance laisse pendantes d’immenses questions. En guise de résultats en effet, une cascade de loupés et de ratés, d’occasions manquées et d’alertes vaines. Avant sa dérive criminelle, Mohamed Merah fut donc un client très régulier de la justice des mineurs, un délinquant emprisonné à plusieurs reprises, un suicidaire hospitalisé et expertisé par un psychiatre, un jeune à la dérive menaçant des voisins et des voisines au nom de l’extrémisme religieux.

Mais ce fut aussi un drôle de touriste au Pakistan et en Afghanistan, tout récemment puisque durant ces deux dernières années, 2010 et 2011, à une époque et dans des régions en guerre où les routards ne sont plus de saison. Et ce fut surtout un voyageur repéré par les forces américaines en Afghanistan qui l’ont renvoyé illico en France ; une recrue terroriste potentielle fichée par les services anti-terroristes internationaux, notamment américains, qui l’avaient interdit de vol sur leurs compagnies et vers leur destination ; bref, un profil chargé et signalé comme il n’en existe guère plus de quelques dizaines dans les fichiers de l’anti-terrorisme français concernant les jeunes nationaux pouvant basculer dans l’action violente.

Et il faudrait accepter sans débat, sans commission d’enquête indépendante, sans interpellation publique légitime, comme si c’était la faute à pas de chance, que cet individu n’ait pas été surveillé de plus près ? Alors même qu’il était repéré et traité par la DCRI, ce « FBI à la française », créé depuis 2007 pour professionnaliser le « renseignement intérieur », dont un fonctionnaire l’avait même entendu de façon informelle à l’automne 2011 ? À ce fiasco de départ, celui de la DCRI qui est le plus lourd de conséquences tant la prévention des crimes est la plus efficace des polices, s’en est ajouté un deuxième : une enquête de police judiciaire qui n’a pas réussi à empêcher la tuerie dans l’école juive de Toulouse, faute d’avoir su exploiter plus rapidement les deux pistes datant du premier meurtre, celui du 11 mars, à Toulouse toujours – une annonce consultée sur Internet et un scooter de marque Yamaha.

Hélas, le croisement de ces deux éléments et du profil de Mohamed Merah n’est intervenu que le mardi 20 mars, au lendemain de la tuerie antisémite et alors que le tueur avait déjà sept cadavres à son passif. Mais il faut croire que, dans cette mauvaise série policière dont la société française a fait les frais, le fiasco devait être général. Car le final fut la malheureuse démonstration par une unité d’élite, le RAID, en théorie spécialisée dans la neutralisation de forcenés, de son impuissance à maîtriser et interpeller vivant un seul individu dont l’armement ne faisait pourtant pas le poids. Avec cette information ultime qui fait encore plus désordre : l’autopsie du corps de Mohamed Merah a montré qu’il était criblé de balles, malgré le gilet pare-balles qu’il portait, avec vingt-deux impacts sur les bras et les jambes, sans compter le tir mortel à la tête.



24/03/2012
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