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LA PAROLE EST A LA DISCRIMINISATION

 

 

Il y a dix jours, lors d’une manifestation contre le mariage homo, une enfant de 12 ans, entourée d’adultes, a secoué une banane en direction de la ministre de la Justice, Christiane Taubira : «La guenon, mange ta banane !» Peu de temps avant, un abbé avait scandé : «Y a bon Banania ! Y a pas bon Taubira !» Mi- octobre, une tête de liste FN aux municipales dans les Ardennes (depuis suspendue) expliquait tranquillement à la télévision : «Je préfère voir [Taubira] dans un arbre après les branches que l’avoir au gouvernement.» Evidemment scandaleux. Il a pourtant fallu plusieurs jours pour qu’une réaction prenne forme, dans les médias comme au niveau politique. Libération a voulu revenir sur ces attaques avec Christiane Taubira. Et tenter de savoir s’il y a aujourd’hui banalisation de la parole raciste.

 

 

Impasse.«La France raciste est de retour», s’alarme le présentateur de TF1 Harry Roselmack qui, dans une tribune publiée hier par le Monde, se dit «ramené à [s]a condition de nègre». L’éditorialiste Rokhaya Diallo, auteure de Comment parler du racisme aux enfants ? (1), constate elle aussi une «libération» de la parole raciste. Née selon elle avec les lois sur le voile, elle a ressurgi lors des émeutes de 2005 ou de la Coupe du monde de foot de 2010…«Des polémistes comme Ivan Rioufol [chroniqueur au Figaro, ndlr] que personne n’invitait il y a quinze ans, car leurs propos n’étaient pas jugés respectables, sont devenus audibles», avance-t-elle en citant aussi le tweet de la chroniqueuse Natacha Polony, gazouillant «Léonarda de retour en France pour la fashion week» sous une photo d’une mendiante sur les marches du métro. Pour le sociologue Michel Wieviorka, «la nouveauté, ce n’est pas la banalisation des propos racistes, c’est la circulation par Internet qui leur ouvre un espace [lire page 4]. Dans ce passage du privé au public, aujourd’hui, tout peut être dit, on ne se retient pas.» Difficile de savoir si la France est «plus» ou «moins» raciste. «Dans les années 80, 90, on parlait de racisme culturel, ou différentialiste, ajoute Wieviorka. On croyait que le racisme avait cessé d’être biologique et physique. Certes, il y a une définition des individus en fonction de leur appartenance culturelle, mais cela n’a pas empêché le vieux racisme de resurgir.» Ceux qui tiennent des propos racistes ne sont selon lui plus dans la transgression, «ils ont la conviction d’être légitimes, de défendre des valeurs».

Le stigmatisant discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, la victoire de la ligne Buisson à droite, les écarts de Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, sur les Arabes - «Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes» -, mais aussi les pains au chocolat de Copé… «Les plus grands pourvoyeurs de propos xénophobes sont les hommes politiques», estime le président de la Licra, Alain Jakubowicz. La course après l’électorat FN a fait des dégâts. «On ne peut accepter la respectabilité entière du FN sans cautionner ce que ce parti véhicule», pense Wieviorka. Qui pointe l’impasse politique qui paralyse les partis classiques : «Tant que la droite et la gauche se contentent du thème de la république, sans prendre en compte les diversités de notre société, ethnicisée, il y aura des poussées de l’expression raciste.»

Inaudible. Pour autant, la libération de cette parole xénophobe est-elle si généralisée ? «Une minorité exprime une parole raciste de façon moins rentrée qu’auparavant, mais il n’y a pas d’extension de cette parole dans l’opinion publique», affirme le politologue Stéphane Rozès, de l’institut CAP. De fait, les expressions intolérantes - racistes ou homophobes - comme lors des manifs contre le mariage pour tous, font irruption précisément à un moment où la société reconnaît davantage les différences culturelles, ethniques ou religieuses. Où la tolérance semble plus grande. Si, en 1988, 75% des Français disaient qu’il y avait trop d’immigrés en France, ils n’étaient plus que 52% en 2007, comme l’explique Vincent Tiberj, docteur en sciences politiques.

Face à la violence des propos entendus ces dernières semaines sur Christiane Taubira, la réponse a-t-elle été à la hauteur ? Un communiqué de Jean-Marc Ayrault, un autre du PS, une question à l’Assemblée de Jean Glavany… Riposte largement inaudible. «Dans l’hémicycle, la droite a peu réagi. Il y a quelques années tout le monde se serait levé en soutien à la ministre», note le député PS Yann Galut, coauteur d’une tribune collective dans Libé. «Si on ne monte pas au créneau pour une ministre, imaginons comment seront sanctionnés les propos contre les anonymes ?» s’inquiète Rokhaya Diallo. Peu audibles aussi, les associations «car il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre», pense le Conseil représentatif des associations noires, qui a porté plainte contre la candidate FN des Ardennes. Et Jakubowicz de regretter : «Les militants antiracistes passent au mieux pour des emmerdeurs, au pire pour des liberticides.»

 



06/11/2013
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