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LA COLERE DES MAGISTRATS : article de libération

Société 04/02/2011 à 00h00 (mise à jour à 12h52)

Sarkozy pousse les juges à bout

Vaste mouvement de grève chez les magistrats, après la sortie du chef de l’Etat, hier, sur leur responsabilité dans l’affaire Laëtitia.

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Par NICOLAS DE LA CASINIÈRE Nantes de notre correspondant, SONYA FAURE, MOURAD GUICHARD Orléans, de notre correspondant

Nicolas Sarkozy armé d'un flash-ball à Orléans jeudi.

Nicolas Sarkozy armé d'un flash-ball à Orléans jeudi. (Laurent Troude)

En visite hier au commissariat d’Orléans, Nicolas Sarkozy a d’abord caressé les policiers et les gendarmes dans le sens du poil : «Je ne vous ai pas oubliés, vous avez le droit à tout mon soutien. […] Vos résultats sont excellents. Je veux dire à nos compatriotes combien votre métier est dangereux.» Puis, évoquant l’affaire Laëtitia Perrais, son ton a changé, à destination des magistrats : «Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute», a-t-il dénoncé. Ajoutant : «Ceux qui ont couvert ou laissé faire seront sanctionnés, c’est la règle.» «quand il y a une faute qui conduit à un tel engrenage, nos compatriotes ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas de sanction»«Notre devoir, c’est protéger la société de ces monstres, a-t-il rappelé. Je ne crois pas à la fatalité, le risque zéro n’existe pas. Mais tout réduire à la fatalité, c’est se condamner à l’impuissance.»

«Injustice». Après ces propos, la colère s’est rapidement propagée dans le tribunal de Nantes, qui gère le dossier du principal suspect dans la disparition de Laëtitia (lire page de droite). Dès hier après-midi, le tribunal se met au service très minimum. Une cinquantaine d’audiences sont suspendues sine die. Seules quatre comparutions immédiates - l’urgent - sont maintenues. «Le mouvement est né spontanément. On s’est réunis entre midi et deux, explique Jacky Coulon, juge d’instruction, membre de l’Union syndicale des magistrats (USM, modéré et majoritaire). On ressent une injustice profonde. Le manque de moyens, la Chancellerie le sait très bien : ici, à Nantes, on devrait avoir quatre juges d’application des peines, mais un poste n’est pas pourvu. On fait de notre mieux, et on se voit accusés d’un crime. Oui, un crime ! On nous dit que nous, magistrats, avons participé à la commission d’un crime.» Un communiqué invoque l’«incurie des pouvoirs publics» et dénonce «l’amalgame fait par les plus hautes autorités de l’Etat entre la commission d’un crime et les prétendues carences décisionnelles des services de la justice, de la police et de l’administration pénitentiaire». Il demande «la reconnaissance publique que les magistrats et fonctionnaires ne sont en rien responsables du crime commis à Pornic».

Magistrats (dont le vice-procureur), greffiers et fonctionnaires tiennent une assemblée générale tout l’après midi. Et décident d’un mouvement de suspension des audiences, bloquant pendant une semaine l’exercice de la justice, jusqu’à jeudi prochain, où une manifestation nationale est prévue à Nantes. «En s’inscrivant dans la durée, ce mouvement est sans précédent, note Nicolas Léger, secrétaire national de l’USM, débarqué à Nantes en fin d’après-midi. Qu’un tribunal soit pris à partie par la plus haute instance du pays, c’est scandaleux, atterrant.»

Depuis hier, dans plusieurs tribunaux de France, des assemblées générales se tiennent pour décider d’actions à mener en solidarité avec les magistrats de Nantes. Selon l’USM, des AG doivent avoir lieu à la Cour de cassation, ainsi qu’en Bretagne, à Lille, Créteil, Grenoble, Caen, Nancy, Pointe-à-Pitre… «Nicolas Sarkozy voulait la révolution ? Il va la trouver ! s’exclame Virginie Valton, vice-présidente de l’USM. Sur nos listes de discussion, c’est l’explosion. On nous appelle pour nous demander comment monter une AG. Certains tribunaux, comme celui de Bayonne, ont déjà décidé de renvoyer eux aussi les affaires.» Jeudi, la mobilisation sera nationale. D’autres syndicats (le Syndicat national des officiers de police, Synergie pour la police et d’autres…), ainsi que des avocats, soutiennent le mouvement. Pour le syndicaliste Nicolas Léger, «que le président de la République en rajoute une couche avec des provocations qui stigmatisent magistrats et fonctionnaires, désignés à la vindicte populaire, cache la seule faute, celle du gouvernement et de Nicolas Sarkozy, qui ont choisi de ne pas pourvoir les postes nécessaires. Les seuls bénéficiaires de la posture du Président, ce sont les criminels eux-mêmes, qui profitent de la désorganisation de la justice».

«Aujourd’hui, c’est l’écœurement», dit Michelle Zénon, juge aux affaires familiales (FO magistrats). Qui s’interroge : «Où est la séparation des pouvoirs si le politique demande des sanctions, veut avoir la mainmise sur le judiciaire ?» «Rien ne garantit, rappelle le magistrat Jacky Coulon, que si suivi du sursis et mise à l’épreuve avaient été effectués, avec certificat médical et rendez-vous judiciaires tenus, Tony Meilhon n’aurait pas participé [aux faits]. Le risque zéro n’existe pas.» Un policier en faction au tribunal dit sa solidarité : «Jusqu’à jeudi prochain, ne sont maintenues que les comparutions immédiates et les assises.»

«Mises en garde». Tous déplorent le manque de magistrats, de policiers, de conseillers de probation. A Nantes, trois juges d’application des peines (JAP) devaient s’occuper de 4 000 dossiers. Les magistrats ont dû faire des choix. Se concentrer sur les affaires les plus graves (le suivi des délinquants sexuels, notamment) et mettre de côté 530 dossiers moins urgents. Tony Meilhon, qui devait être suivi pour outrage, était de ceux-là.

La hiérarchie le savait, comme l’a rappelé le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), dans un communiqué : en octobre, les juges de l’application des peines de Nantes ont averti leur hiérarchie que l’absence, depuis un an, d’un quatrième JAP «les obligeait à effectuer des choix de priorités». Selon le SM, dans un mail du 4 novembre, «le premier président de la cour d’appel de Rennes a répondu que, "malgré de multiples rapports et mises en garde" de sa part, la Chancellerie avait décidé de ne pas pourvoir le poste manquant». Et qu’il n’était dès lors «pas illégitime que les magistrats établissent des priorités de traitement des affaires». Depuis la mort de Laëtitia, la hiérarchie judiciaire a décidé d’affecter un quatrième magistrat au service d’application des peines, du 1er avril au 1er septembre.

Pour tenter de calmer le jeu, le garde des Sceaux, Michel Mercier, a proposé hier soir de rencontrer les syndicats, afin d’évoquer les rapports administratifs sur le dossier Laëtitia, attendus pour la fin de semaine prochaine. Mais ça ne va pas être facile d’éteindre le feu.

Photo Laurent Troude

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07/02/2011
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