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LA BRETAGNE A LA POINTE DU RAS-LE-BOL

 

 

Des bonnets rouges pour dire la révolte. «Un ras-le-bol général» répété à l’envi pour expliquer la mobilisation. Samedi, à Pont-de-Buis, dans le Finistère, paysans, commerçants, artisans, ouvriers, chefs d’entreprise, fabricants d’aliment, chauffeurs routiers s’étaient donné rendez-vous près d’un portique écotaxe, symbole de toutes les colères bretonnes. Trois manifestants ont été blessés, dont un grièvement en tentant d’attraper une grenade destinée à disperser la foule. Côté gendarmes on dénombre six blessés légers.

 

 

En ces terres où François Hollande a réalisé l’un de ses meilleurs scores à la présidentielle, la cible sous-jacente était le gouvernement et, plus largement, la classe politique «de gauche comme de droite». «Il est évident qu’on va vers des votes sanction, analyse Christian, 52 ans, commercial dans une entreprise de transports en commun, électeur de Hollande en 2012 et futur abstentionniste. On a l’impression que c’est la panique générale au niveau de l’Etat. L’ampleur de la tâche, le chômage, la relance de l’économie les a dépassés.» Parmi les manifestants qui défiaient les forces de l’ordre, une petite pancarte résumait ironiquement le désamour : «Pour une taxe par jour, votez PS.»«Dans cette région où tout est basé sur l’agriculture et l’agroalimentaire, tout le monde se sent concerné par l’écotaxe qui vient se rajouter au reste et sera répercuté sur le prix des produits, souligne Pierrick Henry, dirigeant d’une petite entreprise de charcuterie. On a l’impression d’être sur une poudrière prête à exploser.» Secouée par les plans sociaux et les fermetures d’usine, notamment dans l’agroalimentaire, la Bretagne tangue en effet. Et la défiance vis-à-vis du pouvoir est à son comble.

Clou. «Hollande est un incompétent qui a trompé son monde, assène Benoît, 35 ans, un éleveur de poulets aux bâtiments désespérément vides. "Je vais réenchanter vos rêves" qu’il disait, mais dans quel monde il vit ? Personnellement, je me verse 800 euros par mois. Mais je ne demande pas plus d’argent, je demande à travailler.» Et ce père de deux jeunes enfants, qui craint qu’on lui saisisse sa maison, d’enfoncer le clou : «Quand je me suis installé, voilà un an et demi, j’ai eu des aides de l’Etat, de la région, du département, de l’Europe, de toutes les collectivités. C’était un signe encourageant. Ils sont où aujourd’hui tous ces gens ? Ils sont complètement déconnectés de la réalité. Il y a de quoi être dégoûté.» Si Benoît se dit allergique aux extrêmes, beaucoup n’hésiteront pas à franchir le pas.

«Je ne serai pas proeuropéen pour la première fois aux prochaines européennes, déclare solennellement Bernard (1), 52 ans, éleveur de cochons. On ne nous écoute plus. Les agriculteurs ne sont qu’une monnaie d’échange dans des négociations plus larges. Ce sont des lobbys qui font les lois. Nous avons des réglementations pour tout dans nos exploitations mais, pour les financiers, elles sont où les réglementations ?» En 2014, Bernard votera pour la première fois FN. Un éleveur de vaches laitières du Morbihan, tout en gardant ses distances vis-à-vis de Marine Le Pen, constate un glissement croissant vers le Front national, par dépit et peur de l’avenir ou pour semer «un beau bordel».«Des ouvriers qui votaient à gauche et qui disent maintenant ouvertement qu’ils voteront pour le FN, j’en entends tous les jours et dans tous les milieux, jure-t-il. Ce sont des gens qui en veulent à tout le monde, et d’abord au gouvernement, qui ne trouve pas de solutions au chômage et à l’immigration.»

Mickaël, combinaison de moto sur le dos pour se frotter aux gendarmes et raquette de tennis à la main - « pour renvoyer les grenades lacrymos» -, assume sans détour sa radicalisation, réclamant une «sortie de l’Europe». «Je suis en intérim et je n’arrive pas à trouver de boulot, raconte ce chauffeur routier. Et qu’est-ce que je vois ? Des Roumains, des Lituaniens, des Espagnols qui transportent nos marchandises ! J’ai 40 ans et je ne vois plus le bout du tunnel. "Moi président, je serai à l’écoute du peuple", disait Hollande. Mais il n’écoute personne.»

Abattoir. Dans une région fortement proeuropéenne, la présence d’un important contingent de travailleurs venus de Roumanie ou de Pologne (lire ci-dessous) dans l’industrie agroalimentaire nourrit également le rejet de l’Union. Quand ce n’est pas le «dumping social» pratiqué par des pays comme l’Allemagne, qui embauche une main-d’œuvre bon marché. Une des causes de la crise de la filière porcine en Bretagne, qui a conduit à la fermeture de l’abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau (Finistère), avec près de 900 emplois. Loïc, grand gaillard de 43 ans, dont vingt-trois passés chez Gad, se sent abandonné. «Que va-t-on devenir ? On me propose un reclassement comme ouvrier à Josselin, dans le Morbihan, alors que j’étais animateur d’équipe à Lampaul. Notre bien immobilier ne vaut plus rien, les impôts locaux vont augmenter et ma femme, qui gardait les enfants des salariés de Gad, va aussi se retrouver au chômage. J’ai la haine.»

Jean-Pierre Le Verge, retraité de l’agriculture de 67 ans et ex-président de Breizh Europe, lobby chargé de défendre l’agroalimentaire breton à Bruxelles, prédit un avenir très sombre au PS. En Bretagne, mais aussi au-delà : «Le temps des socialistes sera éphémère. Nous avons actuellement la pire gouvernance qu’on ait jamais eue. On est dans la non-décision permanente. Au niveau de l’Europe, chaque pays fait ce qu’il veut, et on est en train de fabriquer des représentants du Front national à Bruxelles alors qu’ils n’ont aucune solution !» Conclusion d’un ouvrier de Gad qui manifestait l’autre jour devant l’abattoir de Josselin, où se sont battus des salariés : «La France fout le camp. Aujourd’hui c’est la Bretagne, demain ça sera ailleurs»

 



28/10/2013
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