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L'AMNESIE CURIEUSE DE CAHUZAC

Cahuzac, amnésique, met Hollande dans l'embarras (Médiapart)

|  Par Mathieu Magnaudeix

Auditionné à nouveau par les députés mardi, Jérôme Cahuzac a, de fait, démenti l'existence d'une réunion le concernant, à l'Élysée le 16 janvier, pourtant confirmée par Pierre Moscovici la semaine dernière. L'opposition demande l'audition de Jean-Marc Ayrault. Réponse ce mercredi.

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À nouveau, Jérôme Cahuzac les a désarçonnés. Les socialistes membres de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire Cahuzac espéraient que la deuxième audition de l'ancien ministre du budget, ce mardi, permettrait enfin d'éclaircir le rôle des plus hautes autorités de l'État. L'ancien ministre, déjà auditionné le 26 juin, allait combler les trous, donner plus de détails, permettre de clore leur calvaire. Mais leurs espoirs ont été douchés : Jérôme Cahuzac s'était visiblement juré de ne pas leur faire ce cadeau. Après avoir choisi lors de sa première audition de ne pas répondre, en se réfugiant derrière l'enquête judiciaire en cours, il a cette fois opté pour une autre ligne de défense : ne pas se souvenir.

Jérôme Cahuzac à l'assemblée nationale, ce mardi 23 juilletJérôme Cahuzac à l'assemblée nationale, ce mardi 23 juillet© Reuters

La semaine dernière, la commission, présidée par le centriste Charles de Courson, avait décidé de réentendre l'ancien ministre du budget. En cause : son attitude fort butée, son refus de répondre à une foule de questions pour ne pas empiéter sur l'enquête judiciaire (une esquive pure et simple, car Jérôme Cahuzac n'est nullement tenu par le secret de l'instruction). Mais, surtout, un épisode très précis, révélé dans un livre sur l'affaire, Jérôme Cahuzac - Les Yeux dans les yeux (Éditions Plon), paru le 4 juillet : la tenue, le 16 janvier, d'une courte réunion à l'Élysée après un conseil des ministres.

Une réunion au sommet, réunissant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici, mais aussi Jérôme Cahuzac. But de ce rapide échange : décider du lancement d'une demande d'entraide fiscale à la Suisse pour faire la lumière sur un éventuel compte à l'UBS. Une enquête parallèle dont s'est d'ailleurs étonné, lors de son audition, le procureur de Paris François Molins : huit jours avant cette réunion, il venait en effet d'ouvrir une information judiciaire suite aux révélations de Mediapart. Cette procédure inhabituelle a pu être interprétée comme une volonté de court-circuiter l'enquête. D'autant que la réponse des autorités suisses (négative, car la question avait été mal posée) a été opportunément publiée dans le Journal du dimanche du 9 février. « Les Suisses blanchissent Cahuzac », titrait alors l'hebdomadaire.

« Le mercredi 16 janvier 2013, en marge du conseil des ministres, François Hollande et Jean-Marc Ayrault convoquent Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac dans le bureau présidentiel, écrit ainsi Charlotte Chaffanjon dans Jérôme Cahuzac - Les Yeux dans les yeux. Les deux têtes de l’exécutif réclament au ministre de l’économie et des finances de lancer une demande d’entraide à la Suisse. (…) “Puisque tu n’arrives pas à avoir une réponse par la voie personnelle, on va passer par la voie conventionnelle !” expliquent François Hollande et Jean-Marc Ayrault à Jérôme Cahuzac qui n’a pas d’autre choix que d’accepter. »

La semaine dernière, le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, a confirmé cette réunion, nombre de détails à l'appui. « La seule chose qui est claire, c'est que Pierre Moscovici, quand il a parlé devant la commission d'enquête, a dit la vérité et toute la vérité », a expliqué mardi avant l'audition l'entourage de Jean-Marc Ayrault.

Sauf que quelques heures plus tard, au cours d'une audition de plus de deux heures, Jérôme Cahuzac a refusé de confirmer cet « échange ». L'ancien ministre du budget n'en a « aucun souvenir ». Aux députés qui refusent de le croire, il répond, cinglant : « Ni l'ironie ni la menace ne me feront dire ce dont je ne me souviens pas. » « Ne me parlez pas sur ce ton ! » lui répond l'UMP Georges Fenech, excédé.

« Si je dis ne pas en avoir le souvenir, c'est parce que je n'en ai pas », martèle Cahuzac. « Dans l'hémicycle vous parliez sans notes et ne vous souvenez pas d'une réunion le 16 janvier ? On a du mal à y croire », s'étonne l'UMP Gérald Darmanin. À plusieurs reprises, le président Charles de Courson revient à la charge, en vain. Cahuzac conçoit que ses anciens collègues députés puissent ne pas le croire. « Je devine le doute quand je nie… », explique, lucide, celui qui a démenti le 5 décembre devant l'Assemblée nationale détenir un compte en Suisse.

L'ancien ministre est-il (cette fois) sincère ? A-t-il préféré ne se souvenir de rien pour éviter de reconnaître un mensonge devant la commission d'enquête (ce qui est lourdement puni), ou encore pour ne pas embarrasser son ex-collègue Moscovici, mis en difficulté après le scandale ? Par plaisir de faire durer un peu plus le suspense autour de sa personne ? Pour se venger de François Hollande et Jean-Marc Ayrault ? Impossible à dire.

Reste que mardi soir, les socialistes ne cachaient pas leur désarroi. « C'est embêtant… », admet ce socialiste, troublé. « J'ai du mal à concevoir une telle différence entre les propos de M. Moscovici et vous », lance un jeune député PS, Pierre-Yves Le Borgn', à un Cahuzac de marbre, mâchoires serrées, regard de fer. Pour les socialistes, le trou de mémoire réel ou feint de Jérôme Cahuzac est en tout cas une sacrée anicroche : face à de telles divergences, il devient désormais compliqué de ne pas faire appel aux souvenirs des deux autres personnes présentes ce jour-là. En l'occurrence François Hollande – mais le chef de l'État ne peut être entendu par une commission d'enquête parlementaire… et Jean-Marc Ayrault. Une telle convocation serait forcément très « emblématique », s'inquiète un socialiste.

 


25/07/2013
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