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L'ALLEMAGNE L'A EMPORTE SUR TOUS LES DOSSIERS EUROPEENS

L'Allemagne l'a emporté sur la plupart des gros dossiers européens (médiapart 1.)

|  Par Ludovic Lamant

« TSCG », photovoltaïque, libre-échange… L'Allemagne est sortie le plus souvent gagnante des arbitrages politiques rendus dans les dossiers économiques clés. Mais ce « leadership » européen ne s'accompagne d'aucune vision pour l'avenir de l'Union.

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De notre envoyé spécial à Bruxelles

Wolfgang Schaüble manque de s'étouffer. L'Europe allemande ? « Quelle perspective épouvantable ! Absurde ! La richesse de l'Europe réside dans sa diversité », assure le ministre des finances d'Angela Merkel dans un entretien publié cette semaine par l'hebdomadaire Le Point. « Ce que nous voulons, c'est une Europe forte, et chacun doit faire des efforts, y compris l'Allemagne, pour la rendre forte. »

À la veille des élections générales du 22 septembre en Allemagne, cette prise de position peut surprendre, quand on connaît l'influence de Berlin sur la gestion de la crise européenne depuis 2010. Mais elle traduit aussi la prudence des autorités allemandes, qui rechignent à assumer haut et fort le leadership qu'elles ont pris, de facto, sur la conduite des affaires européennes à Bruxelles. « L'hégémon réticent de l'Europe  », titrait, il y a quelques semaines, l'hebdomadaire The Economist, qui constatait à quel point la chancelière allemande refusait de défendre une véritable « vision » de l'Europe, au plus fort de la crise.

Si l'on en croit le sociologue Ulrich Beck, qui a popularisé le concept d'« Europe allemande », ce mélange de prudence, d'hésitation et d'indifférence à l'égard de l'Europe est tactique : « Le pouvoir de "Merkiavel" repose sur le désir de ne rien faire, sur la tergiversation », résume-t-il (Non à l'Europe allemande, 2013). Plus Angela Merkel joue la montre à Bruxelles, consulte et tempère, pour ne pas froisser son électorat, plus elle gagne en influence à Bruxelles. Presque malgré elle.

Mediapart a passé en revue certaines des décisions prises à Bruxelles, sur le front de la crise économique. Quelle est, pour chacune d'elles, l'influence réelle de Berlin ? Il est parfois difficile de faire la part des choses entre les décisions collectives d'une Union européenne majoritairement à droite (à l'exception de la France et de coalitions droite-gauche en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Autriche), et les ordres imposés en solo par Berlin. De distinguer entre la capacité d'entraînement naturelle de la première économie de l'UE, et les éventuelles ambitions hégémoniques d'un pays qui voudrait construire l'Europe tout entière à son image. 

Si les « victoires » allemandes sont manifestes, on découvre aussi que Berlin ne gagne pas à tous les coups, comme le montre l'avancée, malgré l'opposition de Berlin, de l'« union bancaire ». Décryptage en cinq points.

  • 1 - « TSCG » : le triomphe d'Angela Merkel à Bruxelles

C'est l'un des moments de gloire de la chancelière : elle impose un mini-traité, rédigé dans l'urgence (en décembre 2011) et baptisé « TSCG »  (pour « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance »). Il est adopté dès le conseil européen de mars 2012, par l'ensemble des États membres (sauf la Grande-Bretagne et la République tchèque). Ce texte part d'un diagnostic partagé par bon nombre d'économistes en Allemagne : c'est l'endettement des États qui est responsable de la crise. À la différence d'experts davantage hétérodoxes, qui insistent plutôt sur les « déséquilibres macroéconomiques » à l'échelle du continent.

À l'époque, Nicolas Sarkozy, président français, fait lui aussi campagne pour ce « pacte budgétaire européen » qui impose, en particulier, la « règle d'or » des comptes publics à chacun de ses signataires. Objectif affiché du TSCG : donner des gages de sérieux budgétaire aux marchés financiers qui menaçaient alors d'emporter l'euro. À Bruxelles, beaucoup estiment que ce mini-traité n'est pas nécessaire, et qu'il ne fait que répéter bon nombre de dispositions déjà prises dans le cadre de textes précédents. Mais les Allemands ne veulent rien entendre. Le TSCG va devenir le symbole de l'austérité imposée aux pays de la zone euro qui réclament une aide de l'UE pour éviter la faillite. À peine élu, François Hollande, qui s'était engagé à le renégocier, a dû prendre acte, faisant accepter seulement un complément cosmétique – un « pacte de croissance » des plus limités – au traité inchangé.

Lire nos articles sur le TSCG ici.

  • 2 - Photovoltaïque chinois : la capacité de blocage de Berlin

Officiellement, la commission européenne et Pékin sont tombés d'accord, le 27 juillet dernier, sur un compromis. Les apparences sont sauves. Bruxelles avait mis en place, quelques semaines plus tôt, une taxe – temporaire – sur les panneaux solaires photovoltaïques fabriqués en Chine, et massivement importés au sein de l'Union à bas prix. Cette taxe, d'abord fixée à 11 %, et qui devait progressivement grimper jusqu'à 40 % du total, avait provoqué l'ire des autorités chinoises. La manœuvre, houleuse, devait prouver que l'Europe a passé l'âge de la « naïveté » en matière de politique industrielle, et protéger les producteurs européens, pour relancer l'emploi sur le continent.

Sauf que le compromis arraché par Karel de Gucht, le commissaire belge au commerce, ressemble à une capitulation : le prix plancher négocié avec les Chinois (0,56 euro par watt) est... à peu près identique – légèrement supérieur en fait – au prix actuel du marché. Un État membre de l'UE a dû se frotter les mains : l'Allemagne qui, dès le départ, avait fait connaître son opposition au projet de taxation, de peur de froisser les Chinois, partenaire commercial capital pour la première économie de la zone euro. L'Allemagne avait dit tout le mal qu'elle pensait du texte en mai. Deux mois plus tard, elle est parvenue à constituer une coalition de 18 pays européens réfractaires à cette taxe. 

Avec le TSCG, Berlin a imposé son agenda. Avec le photovoltaïque, Berlin a prouvé sa capacité à bloquer un projet, fût-il porté haut et fort par la commission.  

Lire notre article : La querelle autour du solaire chinois montre les limites du patriotisme économique.



20/09/2013
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