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L'ABIME OU LE REVEIL :cet étrange renoncement

L’abîme ou le réveil

Cet étrange renoncement

Voici donc la gauche socialiste au pouvoir repartie pour cette dissociation des engagements électoraux et des choix gestionnaires qui, dans le passé, lui fut toujours fatale. Témoin ou acteur des sévères défaites législatives de 1986 et de 1993 ainsi que du stupéfiant échec présidentiel de 2002 et de l’inattendu « non » au référendum de 2005, la génération aujourd’hui au pouvoir sait pourtant d’expérience combien est douloureux, entre désolation et division, le prix à payer pour ces renoncements essentiels, sur les terrains européen, économique et démocratique. Sans parler de celles et ceux qui, parmi les actuels ministres, se sont affirmés et construits dans le bilan critique de ces échecs.

Tel fut le cas, par exemple, de Christiane Taubira, de Vincent Peillon et d’Arnaud Montebourg. Or les trois noms qui, spontanément, viennent à l’esprit pour incarner un rapport critique de la gauche à sa propre histoire sont aussi les trois ministres les plus remarquablement atypiques du gouvernement Ayrault – et qui, par leur bilan personnel, font déjà entendre une différence. Mais que pèsent, à la vérité, la hauteur poétique de la ministre de la justice, le volontarisme social du ministre du redressement productif et l’exigence intellectuelle du ministre de l’éducation face à des choix économiques, sociaux, sécuritaires, voire internationaux, qui ne marquent pas de différence évidente avec une politique de droite modérée et, encore moins, avec celle qu’aurait incarnée Dominique Strauss-Kahn ?

Tandis que les écologistes sont devenus inaudibles, piégés par leur participation gouvernementale qui, en les neutralisant, confirme l’allergie foncière de la Cinquième République au pluralisme, et que le Front de gauche est, à l’inverse, légitimement conforté dans sa contestation radicale, il nous reste à comprendre la rapidité de ce retournement. Car ce triple renoncement, commencé dès l’été 2012 (lire ici, , aussi et encore, les articles où nous prenions date), s’est produit sans événement extérieur, sans conjoncture nouvelle, sans contrainte imprévue. Sans combat ni débat, comme une sorte d’affaissement naturel. Comme si lassitude et fatigue avaient d’emblée saisi ce nouveau pouvoir devant l’ampleur des obstacles que ses promesses de changement avaient forcément placés devant sa route.

C’est ici que l’évocation par François Mitterrand de ces politiques qui glissent sans forcément l’avoir choisi ou voulu, par habitudes, conforts et pesanteurs, s’adaptant toujours sans jamais rompre, n’est pas inutile. Car, loin d’un déterminisme simpliste, cette image laisse place à l’autonomie des individus, selon qu’ils se conforment aux milieux et aux intérêts qui les entourent ou qu’ils savent s’en échapper, leur résister et les distancier. Point d’équilibre d’un pouvoir constitué à la façon d’une direction socialiste, dans une homogénéité de circonstance plutôt que de cohérence politique, le tandem Hollande-Ayrault a pris la première voie, autant par conformité à sa nature foncière que par conviction solide.

Sans doute se pensent-ils sincèrement raisonnables et responsables, équilibrés et attentifs, patients et précautionneux – et, de ce point de vue, on ne saurait regretter un heureux contraste avec la brutalité et la virulence sarkozystes. Mais, en persévérant ainsi dans leur être, par adaptations successives, ils ne se montrent guère à la hauteur de l’histoire qui les emporte et les bouscule. Conjugaison d’une révolution industrielle – la troisième de notre modernité, avec le numérique pour moteur, succédant à la machine à vapeur et à l’électricité des deux premières –, d’une durable crise du capitalisme – la troisième de cette ampleur après celles de 1857 et de 1929 –, et d’une fin de la domination de l’Europe sur le monde – clôturant le cycle ouvert, il y a plus de cinq siècles, par le « Nouveau Monde » de Christophe Colomb –, notre époque incertaine et obscure appelle des audaces, des inventions, des créations – et non plus seulement des prudences, des répétitions et des continuations.

Dans son désastre européen, enfantant guerres mondiales et guerres coloniales, le siècle passé nous a enseigné que l’histoire n’est jamais écrite – et qu’elle peut aussi bien tourner en catastrophe par la faute d’une humanité imprévoyante ou inconsciente, aveuglée ou dépossédée. L’avertissement vaut pour nos temps inquiets où l’incertitude nourrit la peur qui, elle-même, produit la haine. Aussi le triple renoncement socialiste fait-il irrésistiblement penser au constat désolé de l’historien – et futur résistant – Marc Bloch devant L’Étrange défaite de 1940. Celle-ci, comme souvent les désastres, n’est pas survenue à la façon d’une surprise inattendue, mais en résultant d’une addition de conformismes et de suivismes, de résignations et de soumissions.

« Cette faiblesse collective n’a peut-être été, souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles », écrivait-il, visant ces « classes dirigeantes » à qui « quelque chose a manqué de l’implacable héroïsme de la patrie en danger ». Sans vision ni ambition, endormies par « toute une littérature du renoncement », ne pensant qu’au court terme et qu’à leur intérêt égoïste, elles étaient saisies d’un « funeste rétrécissement d’horizon », foncièrement incapables de « voir plus loin, plus haut et plus large ». Et Marc Bloch de recommander que le peuple « se remette à l’école de la vraie liberté d’esprit », résumée, selon lui, par « cette maxime de sagesse » : « Il est bon qu’il y ait des hérétiques. »

L’abîme ou le réveil

Cet étrange renoncement

Voici donc la gauche socialiste au pouvoir repartie pour cette dissociation des engagements électoraux et des choix gestionnaires qui, dans le passé, lui fut toujours fatale. Témoin ou acteur des sévères défaites législatives de 1986 et de 1993 ainsi que du stupéfiant échec présidentiel de 2002 et de l’inattendu « non » au référendum de 2005, la génération aujourd’hui au pouvoir sait pourtant d’expérience combien est douloureux, entre désolation et division, le prix à payer pour ces renoncements essentiels, sur les terrains européen, économique et démocratique. Sans parler de celles et ceux qui, parmi les actuels ministres, se sont affirmés et construits dans le bilan critique de ces échecs.

Tel fut le cas, par exemple, de Christiane Taubira, de Vincent Peillon et d’Arnaud Montebourg. Or les trois noms qui, spontanément, viennent à l’esprit pour incarner un rapport critique de la gauche à sa propre histoire sont aussi les trois ministres les plus remarquablement atypiques du gouvernement Ayrault – et qui, par leur bilan personnel, font déjà entendre une différence. Mais que pèsent, à la vérité, la hauteur poétique de la ministre de la justice, le volontarisme social du ministre du redressement productif et l’exigence intellectuelle du ministre de l’éducation face à des choix économiques, sociaux, sécuritaires, voire internationaux, qui ne marquent pas de différence évidente avec une politique de droite modérée et, encore moins, avec celle qu’aurait incarnée Dominique Strauss-Kahn ?

Tandis que les écologistes sont devenus inaudibles, piégés par leur participation gouvernementale qui, en les neutralisant, confirme l’allergie foncière de la Cinquième République au pluralisme, et que le Front de gauche est, à l’inverse, légitimement conforté dans sa contestation radicale, il nous reste à comprendre la rapidité de ce retournement. Car ce triple renoncement, commencé dès l’été 2012 (lire ici, , aussi et encore, les articles où nous prenions date), s’est produit sans événement extérieur, sans conjoncture nouvelle, sans contrainte imprévue. Sans combat ni débat, comme une sorte d’affaissement naturel. Comme si lassitude et fatigue avaient d’emblée saisi ce nouveau pouvoir devant l’ampleur des obstacles que ses promesses de changement avaient forcément placés devant sa route.

C’est ici que l’évocation par François Mitterrand de ces politiques qui glissent sans forcément l’avoir choisi ou voulu, par habitudes, conforts et pesanteurs, s’adaptant toujours sans jamais rompre, n’est pas inutile. Car, loin d’un déterminisme simpliste, cette image laisse place à l’autonomie des individus, selon qu’ils se conforment aux milieux et aux intérêts qui les entourent ou qu’ils savent s’en échapper, leur résister et les distancier. Point d’équilibre d’un pouvoir constitué à la façon d’une direction socialiste, dans une homogénéité de circonstance plutôt que de cohérence politique, le tandem Hollande-Ayrault a pris la première voie, autant par conformité à sa nature foncière que par conviction solide.

Sans doute se pensent-ils sincèrement raisonnables et responsables, équilibrés et attentifs, patients et précautionneux – et, de ce point de vue, on ne saurait regretter un heureux contraste avec la brutalité et la virulence sarkozystes. Mais, en persévérant ainsi dans leur être, par adaptations successives, ils ne se montrent guère à la hauteur de l’histoire qui les emporte et les bouscule. Conjugaison d’une révolution industrielle – la troisième de notre modernité, avec le numérique pour moteur, succédant à la machine à vapeur et à l’électricité des deux premières –, d’une durable crise du capitalisme – la troisième de cette ampleur après celles de 1857 et de 1929 –, et d’une fin de la domination de l’Europe sur le monde – clôturant le cycle ouvert, il y a plus de cinq siècles, par le « Nouveau Monde » de Christophe Colomb –, notre époque incertaine et obscure appelle des audaces, des inventions, des créations – et non plus seulement des prudences, des répétitions et des continuations.

Dans son désastre européen, enfantant guerres mondiales et guerres coloniales, le siècle passé nous a enseigné que l’histoire n’est jamais écrite – et qu’elle peut aussi bien tourner en catastrophe par la faute d’une humanité imprévoyante ou inconsciente, aveuglée ou dépossédée. L’avertissement vaut pour nos temps inquiets où l’incertitude nourrit la peur qui, elle-même, produit la haine. Aussi le triple renoncement socialiste fait-il irrésistiblement penser au constat désolé de l’historien – et futur résistant – Marc Bloch devant L’Étrange défaite de 1940. Celle-ci, comme souvent les désastres, n’est pas survenue à la façon d’une surprise inattendue, mais en résultant d’une addition de conformismes et de suivismes, de résignations et de soumissions.

« Cette faiblesse collective n’a peut-être été, souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles », écrivait-il, visant ces « classes dirigeantes » à qui « quelque chose a manqué de l’implacable héroïsme de la patrie en danger ». Sans vision ni ambition, endormies par « toute une littérature du renoncement », ne pensant qu’au court terme et qu’à leur intérêt égoïste, elles étaient saisies d’un « funeste rétrécissement d’horizon », foncièrement incapables de « voir plus loin, plus haut et plus large ». Et Marc Bloch de recommander que le peuple « se remette à l’école de la vraie liberté d’esprit », résumée, selon lui, par « cette maxime de sagesse » : « Il est bon qu’il y ait des hérétiques. »

L’abîme ou le réveil (1/4)

Cet étrange renoncement

Voici donc la gauche socialiste au pouvoir repartie pour cette dissociation des engagements électoraux et des choix gestionnaires qui, dans le passé, lui fut toujours fatale. Témoin ou acteur des sévères défaites législatives de 1986 et de 1993 ainsi que du stupéfiant échec présidentiel de 2002 et de l’inattendu « non » au référendum de 2005, la génération aujourd’hui au pouvoir sait pourtant d’expérience combien est douloureux, entre désolation et division, le prix à payer pour ces renoncements essentiels, sur les terrains européen, économique et démocratique. Sans parler de celles et ceux qui, parmi les actuels ministres, se sont affirmés et construits dans le bilan critique de ces échecs.

Tel fut le cas, par exemple, de Christiane Taubira, de Vincent Peillon et d’Arnaud Montebourg. Or les trois noms qui, spontanément, viennent à l’esprit pour incarner un rapport critique de la gauche à sa propre histoire sont aussi les trois ministres les plus remarquablement atypiques du gouvernement Ayrault – et qui, par leur bilan personnel, font déjà entendre une différence. Mais que pèsent, à la vérité, la hauteur poétique de la ministre de la justice, le volontarisme social du ministre du redressement productif et l’exigence intellectuelle du ministre de l’éducation face à des choix économiques, sociaux, sécuritaires, voire internationaux, qui ne marquent pas de différence évidente avec une politique de droite modérée et, encore moins, avec celle qu’aurait incarnée Dominique Strauss-Kahn ?

Tandis que les écologistes sont devenus inaudibles, piégés par leur participation gouvernementale qui, en les neutralisant, confirme l’allergie foncière de la Cinquième République au pluralisme, et que le Front de gauche est, à l’inverse, légitimement conforté dans sa contestation radicale, il nous reste à comprendre la rapidité de ce retournement. Car ce triple renoncement, commencé dès l’été 2012 (lire ici, , aussi et encore, les articles où nous prenions date), s’est produit sans événement extérieur, sans conjoncture nouvelle, sans contrainte imprévue. Sans combat ni débat, comme une sorte d’affaissement naturel. Comme si lassitude et fatigue avaient d’emblée saisi ce nouveau pouvoir devant l’ampleur des obstacles que ses promesses de changement avaient forcément placés devant sa route.

C’est ici que l’évocation par François Mitterrand de ces politiques qui glissent sans forcément l’avoir choisi ou voulu, par habitudes, conforts et pesanteurs, s’adaptant toujours sans jamais rompre, n’est pas inutile. Car, loin d’un déterminisme simpliste, cette image laisse place à l’autonomie des individus, selon qu’ils se conforment aux milieux et aux intérêts qui les entourent ou qu’ils savent s’en échapper, leur résister et les distancier. Point d’équilibre d’un pouvoir constitué à la façon d’une direction socialiste, dans une homogénéité de circonstance plutôt que de cohérence politique, le tandem Hollande-Ayrault a pris la première voie, autant par conformité à sa nature foncière que par conviction solide.

Sans doute se pensent-ils sincèrement raisonnables et responsables, équilibrés et attentifs, patients et précautionneux – et, de ce point de vue, on ne saurait regretter un heureux contraste avec la brutalité et la virulence sarkozystes. Mais, en persévérant ainsi dans leur être, par adaptations successives, ils ne se montrent guère à la hauteur de l’histoire qui les emporte et les bouscule. Conjugaison d’une révolution industrielle – la troisième de notre modernité, avec le numérique pour moteur, succédant à la machine à vapeur et à l’électricité des deux premières –, d’une durable crise du capitalisme – la troisième de cette ampleur après celles de 1857 et de 1929 –, et d’une fin de la domination de l’Europe sur le monde – clôturant le cycle ouvert, il y a plus de cinq siècles, par le « Nouveau Monde » de Christophe Colomb –, notre époque incertaine et obscure appelle des audaces, des inventions, des créations – et non plus seulement des prudences, des répétitions et des continuations.

Dans son désastre européen, enfantant guerres mondiales et guerres coloniales, le siècle passé nous a enseigné que l’histoire n’est jamais écrite – et qu’elle peut aussi bien tourner en catastrophe par la faute d’une humanité imprévoyante ou inconsciente, aveuglée ou dépossédée. L’avertissement vaut pour nos temps inquiets où l’incertitude nourrit la peur qui, elle-même, produit la haine. Aussi le triple renoncement socialiste fait-il irrésistiblement penser au constat désolé de l’historien – et futur résistant – Marc Bloch devant L’Étrange défaite de 1940. Celle-ci, comme souvent les désastres, n’est pas survenue à la façon d’une surprise inattendue, mais en résultant d’une addition de conformismes et de suivismes, de résignations et de soumissions.

« Cette faiblesse collective n’a peut-être été, souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles », écrivait-il, visant ces « classes dirigeantes » à qui « quelque chose a manqué de l’implacable héroïsme de la patrie en danger ». Sans vision ni ambition, endormies par « toute une littérature du renoncement », ne pensant qu’au court terme et qu’à leur intérêt égoïste, elles étaient saisies d’un « funeste rétrécissement d’horizon », foncièrement incapables de « voir plus loin, plus haut et plus large ». Et Marc Bloch de recommander que le peuple « se remette à l’école de la vraie liberté d’esprit », résumée, selon lui, par « cette maxime de sagesse » : « Il est bon qu’il y ait des hérétiques. »



26/02/2013
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