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JEUX OLYMPIQUES DU LIVRE 3/8: romans de la balle jaune

JO du livre (3/8) : les romans de la balle jaune (Mediapart)

Les Jeux Olympiques du livre (3/8)

    En épigraphe d’Inséparables d’Alessandro Piperno – Prix Strega 2012, à paraître le 30 août 2012 chez Liana Levi –, une citation de Baudelaire et une autre signée… André Agassi : « Maintenant que j’ai remporté le Grand Chelem, je sais quelque chose que très peu de gens sur la Terre ont la chance de savoir. La victoire ne fait pas autant de bien que la défaite fait mal. » Un poète et un tennisman mis en parallèle, comme le sont d’ailleurs Proust et le tennis dans Champion du monde et Merci de Mathieu Lindon, pour qui « la quête impossible » de Lendl est « infiniment romanesque ». Baudrillard, dans Amérique, évoque les Christs de Salt Lake City, qui tous « ressemblent à Björn Borg ». Serge Daney chroniquait le cinéma aussi bien que le tennis dans Libération, jusqu'à les lier : dans son premier papier, daté du 29 mai 1980, il justifie son amour de la terre battue d'un « évidemment mon point de vue est celui d'un amateur de cinéma, qui préfère le plan fixe au zoom ».

    Quant à André Scala, spécialiste de Spinoza et Berkeley, il se penche, en 2011, sur les Silences de Federer. Selon l’essayiste, sport et récit sont liés. Il n’est qu’à lire la presse spécialisée et ses phrases types (« Untel a écrit une des plus belles pages de… »). « On raconte des histoires sur les sportifs. Nécessairement. Leur pratique ne laisse rien de tangible sinon des mouvements qui donnent l’impression de suivre inévitablement des chemins pourtant jamais tracés, ils agissent sans créer d’œuvre ni fabriquer de monument. » Le tennis, selon André Scala, n’est pas un sport comme les autres, il est construit sur des paradoxes : il est silencieux (donc commenté, immédiatement objet de récit) et ce silence s’écoute : « il faut avoir entendu le silence de l’impact de la balle dans la raquette de John McEnroe ou de Vijay Amritraj. Le toucher s’entend. » « Tout est visible, il n’y a pas de contact entre les joueurs », sinon celui de la balle. « Le tennis est un sport de combat à distance », « la balle, c’est l’autre sans sa présence ». C’est un sport d’amateurs et non de supporters.

    L'Amateur de tennis, tel est justement le titre choisi pour réunir chez POL les critiques que Serge Daney publie dans Libération durant une décennie (1980-1990), un volume dans lequel, selon la phrase de Marguerite Duras que Mathieu Lindon rapporte dans sa préface, « il y a Serge Daney, encore plus sur le tennis peut-être, qui devient un écrivain ». Duras présente en intertexte de certains titres d'articles, comme ces « après-midi entières sur le central ». Et, en permanence, dans les comparaisons, les métaphores, le lexique, le cinéma : angles, références, scénario, dialogue, histoire, personnages. En fil rouge sur cette décennie, le Roland-Garros que Daney chronique fidèlement jusqu'à ce que sa maladie rende impossible le rendez-vous, est un tournoi où « c'est finale tous les jours ».

    On retrouve, dans leur présence magique, les grands noms des années 80, Connors, Borg (et le bruit si particulier de sa raquette), McEnroe, Lendl, Wilander (qui « joue au tennis avec un grand T, un tennis qui consiste plutôt à renvoyer le jeu de l'autre, mais de lui envoyer telle une copie annotée et corrigée »), Noah, mais aussi le tennis féminin (Navratilova, Mandlikova, Sabatini), des portraits, descriptions, réflexions. Cette décennie marquée par la suprématie de l'école suédoise, Wilander et Edberg en héritiers de Borg, Serge Daney la scrute et l'analyse dans ses moments de doute, ses failles, car « malgré les métaphores faciles à base d'acier trempé, les joueurs suédois sont exactement aussi torturés que des personnages de Strindberg et de Bergman ». L'Amateur de tennis dit une passion pour la terre battue, qui « crée de la fiction », un regard qui toujours cherche une lecture littéraire et/ou cinématographique de l'échange, comme dans cet extrait d'un article de juillet 1983 : « Un match, comme un film, est un petit récit. (...) Un tournoi, c'est déjà un grand récit. Une année de tennis, c'est une vraie saga. »



    02/08/2012
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