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INTERVIEW D'ARNAUD MONTEBOURG LE 9 AVRIL 2013

 

Montebourg : "Cette politique d'austérité conduit à la débâcle"

LE MONDE | • Mis à jour le

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Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, dans son bureau, le 8 avril.

Le ministre du redressement productif, ancien candidat à la primaire socialiste, Arnaud Montebourg, dénonce les conséquences des politiques d'austérité en Europe.

Le chef de l'Etat va présenter des mesures de moralisation de la vie politique. Seront-elles suffisantes pour juguler la crise déclenchée par l'affaire Cahuzac ?

Arnaud Montebourg : L'affaire est terrible, comme à chaque fois qu'il y a trahison : un ministre d'un gouvernement de gauche, de surcroît chargé de la lutte contre l'évasion fiscale, qui détient un compte en Suisse, et qui ment. On ne peut que partager le sentiment de révolte de nos concitoyens. Mais elle est surmontable si des mesures fortes sont prises, je fais confiance au premier ministre et au président de la République pour les prendre. Les défaillances graves d'un homme désormais placé devant sa conscience et la justice ne doivent pas masquer les défaillances politiques des dix dernières années qui ont conduit le système financier à poursuivre sa dérive. Les hommes n'étant que les complices ou les victimes de ce système, il convient donc de s'attaquer à la sphère financière.

La réponse à la fraude fiscale passe-t-elle par la généralisation de l'échange automatique de renseignements entre pays ?

Depuis la déclaration forte contre le blanchiment de Lionel Jospin devant les parlements de l'Union européenne en février 2002, que s'est-il passé pendant ces années de droite au pouvoir ? Des mesures d'amnistie, des enterrements de première classe des dossiers d'exilés fiscaux, des affaires extrêmement graves mises sous le tapis, un abandon de l'activisme diplomatique contre la fraude et une apologie politique des évadés fiscaux par M. Sarkozy.

Pendant ce temps, Barack Obama faisait adopter des programmes musclés de lutte contre la fraude et redoublait d'intensité diplomatique dans l'affaire UBS pour obtenir de la Suisse 52 000 noms de citoyens américains titulaires de comptes non déclarés...

Jusqu'au sursaut du G20 de Londres d'avril 2009, en pleine crise financière...

Nicolas Sarkozy déclara que les paradis fiscaux étaient morts. Une proclamation fictive de plus. Pendant ce temps-là, Hervé Falciani, citoyen français honorable, employé à HSBC Genève, partait avec tout le système informatique de la banque et livrait des dizaines de milliers de noms de fraudeurs. Des procédures judiciaires étaient ouvertes aux Etats-Unis, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Grèce. Rien en France. Car pendant que M. Woerth, alors ministre du budget, de l'avis même du procureur de Montgolfier, réduisait la liste "Falciani", on organisa une "cellule de dégrisement" pour permettre aux exilés fiscaux de régulariser leur situation à bon compte. Après que la droite a enterré et amnistié, la gauche a préféré agir contre l'évasion fiscale. Des mesures ont été prises dès la loi de finances rectificative de juillet 2012. Ce que nous visons à présent à travers l'échange automatique de renseignements, ce sont des noms. Les noms des dizaines de milliers de ressortissants français et d'entreprises logés dans les paradis fiscaux que la France doit obtenir.

Comment faire plier le Luxembourg et la Suisse ?

Il sera nécessaire d'utiliser des moyens de pression diplomatiques. Il n'est pas acceptable que la Suisse profite du marché de l'Union Européenne et de ses avantages mais refuse de donner les noms de nos ressortissants. Surtout après l'avoir concédé aux Etats-Unis. Le Luxembourg a fait un premier pas, en annonçant qu'il ne s'attacherait plus au secret. Grâce à l'OffshoreLeaks, la prise de conscience a lieu au même moment dans toute l'Europe. Elle met les gouvernements devant leurs responsabilités historiques. Ils ne peuvent pas demander aux populations de participer à l'effort de redressement des comptes publics, en maintenant les privilèges fiscaux de ceux qui disposent de boîtes noires.

Quid des banques qui contribuent à l'opacité financière en créant, légalement, des sociétés offshore ?

Les banques ont provoqué la crise en obligeant les Etats à se porter à leur secours. Et voilà qu'elles ralentissent les efforts de rétablissement des comptes publics en favorisant les paradis fiscaux. Il faut prendre des sanctions contre les établissements financiers qui organisent le blanchiment de fraude fiscale et la dissimulation des avoirs, comme le retrait de licence ou l'embargo sur leurs activités de filiales dans les paradis.

Envisagez-vous de durcir la loi bancaire, en cours d'examen au Parlement? D'interdire les montages offshore ?

Je suis personnellement favorable à ce qu'on aille beaucoup plus loin dans la réglementation des activités.

L'entourage du président assure qu'il n'est pas intervenu dans l'enquête sur M. Cahuzac. L'honnêteté, dans ce contexte, ne confine-t elle pas à la naïveté ?

La droite qualifiait Mediapart de presse fascisante, utilisait les services de renseignements pour écouter des journalistes, traitaient les juges de "petits pois", et tous les postes clés de la magistrature confiés à des amis. Pourrait-on simplement rendre justice à François Hollande d'avoir respecté la liberté de la presse ? De n'avoir pas levé le petit doigt pour protéger son ministre ? D'avoir laissé la justice suivre son cours ? N'avoir pas engagé de procédure de police politique parallèle à celle engagée par la justice, n'est ce pas à son honneur ? Je remercie le président d'avoir fait preuve d'honnêteté dans cette affaire.

Lire aussi la chronique de Gérard Courtois : Ceux qui peuvent dire merci à Jérôme Cahuzac (abonnés)

Ne faut-il pas procéder à un changement de gouvernement ?

La trahison de l'ancien ministre du budget justifiait son éviction manu militari. Mais les choix d'orientation politique et d'équipe gouvernementale relèvent de considérations plus larges, qui seront examinées en leur temps. C'est au président, seul maître des horloges, de répondre.

Est-ce une crise de régime ?

Il y a crise de régime quand le système institutionnel est incapable de répondre à la perte de confiance. Je ne crois pas que nous en soyons là, car les décisions que le gouvernement s'apprête à prendre sont de nature à rétablir la confiance. La vraie question est la suivante : la politique d'austérité imposée par l'Europe est elle soutenue par nos concitoyens ? La réponse est non. Elle est rejetée par tous les peuples. Donc s'il y a une crise de régime, c'est au niveau de l'Union européenne, où il n'y a nul débat démocratique sur les causes et les conséquences de cette politique d'austérité qui nous entraîne collectivement dans une spirale récessive.

Lire aussi : Austérité : le débat relancé (abonnés)

Ce choix est pourtant assumé par M. Hollande. Voulez-vous dire qu'il faut déplacer le curseur de la politique du gouvernement, ce que réclament d'ailleurs de plus en plus de gens à gauche, y compris au PS ?

Le gouvernement a fait des efforts sans précédents pour faire face à la montagne himalayenne de dettes que le sarkozysme nous a léguée. Ces efforts, la Cour des comptes les a signalés, la Commission européenne les a soulignés. Mais le sérieux budgétaire, s'il tue la croissance, n'est plus sérieux. Il est absurde et dangereux. Il est donc plus que temps d'ouvrir le débat sur cette politique qui conduit l'Union à la débâcle.

Une réorientation de la politique économique sera-t-elle suffisante pour rétablir la confiance ? Ne faut-il aussi transformer le système politique ?

Oui, il faut transformer le système. Le président a commencé à le faire avec la fin du cumul des mandats, les mesures qui garantissent l'indépendance de la justice ou l'association des partenaires sociaux aux politiques publiques. Mais d'autres questions se posent : sur la place des citoyens dans le débat politique, à travers notamment le référendum d'initiative populaire ; sur les contrepoids démocratiques, à travers par exemple une réévaluation du rôle du Parlement...

Cela ressemble à la VIe République que vous réclamez depuis dix ans, et pour laquelle Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon appellent à manifester à l'occasion du premier anniversaire de l'élection de M. Hollande...

Sur ce point mes convictions sont intactes. Mais je laisse le soin au président de prendre de telles initiatives. La seule chose que je peux dire est que la question se posera.

 

 

 

 
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09/04/2013
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