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INFO LIBE :interview d'Arnaud Montebourg

«Je ne suis pas le ministre du cours de Bourse»

23 juillet 2012 à 21:26
Arnaud Montebourg
Arnaud Montebourg (Photos Patrick Swirc pour Libération)

Interview Arnaud Montebourg défend sa méthode à la tête d’un ministère qui «n’est pas celui des mondanités». Et appelle syndicats et patronat à un effort commun.

Recueilli par Grégoire Biseau et Catherine Maussion

Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, est sur tous les fronts. Un activisme justifié par sa fonction, selon lui, mais qui ne fragilise pas les groupes concernés. Sa méthode ? «La négociation franche.» Et virile.

On dit que vous êtes toujours en retard parce que vos rendez-vous, notamment avec les patrons, s’éternisent.

J’aime parler avec les gens, surtout quand on n’a pas les mêmes idées. Je suis sensible à l’altérité, à me laisser perturber par la pensée d’autrui. Se confronter permet d’approcher la vérité. Face a un problème, à une question difficile, chacun porte sa part de vérité.

Ne regrettez-vous pas certains mots, comme celui de «dissimulation», porté à l’encontre de Peugeot, accusé d’avoir caché la fermeture d’Aulnay, et qui a blessé PSA ?

Ces mots ont été pesés. Je vous rappelle que les syndicats ont révélé un document interne daté d’août 2010 qui prévoyait la fermeture du site. Cela fait partie du questionnement naturel d’un ministre en charge du bien public, à l’égard d’une entreprise qui a pris des décisions lourdes touchant des milliers de salariés, et qui bénéficie d’aides publiques. Je ne veux en aucun cas blesser le groupe PSA. Ni ses dirigeants ni ses salariés. J’ai personnellement une histoire affective avec cette marque, comme beaucoup de Français. C’est avec une 304 Peugeot que j’ai collé en 1981 les affiches pour François Mitterrand. Je n’ai jamais eu que des Peugeot. Aujourd’hui encore, je roule en 407. Je veux protéger l’avenir de cette entreprise, de ses usines en France, de ses salariés. Pour y arriver, nous devons comprendre ce qui s’est passé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Mais c’était presque une accusation…

Je ne souhaite pas alimenter une quelconque polémique, et certainement pas avec Peugeot. L’entreprise doit être préservée, soutenue, aidée. Mais mon ministère n’est pas celui des mondanités, c’est celui de l’action et du rassemblement patriotique au service de notre industrie. Nous n’esquiverons pas les problèmes ni les désaccords. Nous n’enfouirons pas les dossiers comme nos prédécesseurs dans les armoires profondes de la République.

Vous avez aussi eu des mots très durs avec Sanofi. Est-il indispensable de parler sur la place publique pour être efficace ?

J’ai reçu les dirigeants de Sanofi à leur demande. Ils m’ont annoncé leur intention de licencier. Je leur ai dit qu’avec le niveau de leurs profits (5 milliards d’euros l’année dernière et 2,5 au premier semestre 2012), ça n’était pas acceptable. Si je n’avais pas été ferme, j’ai la conviction que des décisions plus lourdes auraient été prises.

Vous ne pensez pas qu’il y a un risque à «hystériser» les situations ?

Le seul risque que je connaisse, en politique, c’est de ne rien faire et de se taire. Ma méthode, c’est la négociation franche pour, ensuite, rassembler tout le monde autour des difficultés et les surmonter ensemble. Il faut que chacun, patrons, salariés, comme actionnaires ou banquiers, se reconnaisse dans un chemin collectif et commun. Comme l’a dit le Premier ministre dans son discours de politique générale, nous sommes dans une situation d’urgence économique et sociale qui exige que chacun fasse un effort.

Mais on a l’impression que vous vous affichez plus volontiers aux côtés des syndicats…

Ma seule ambition, c’est le redressement industriel de notre pays. Cela suppose que chacun fasse des compromis. Pendant la grande conférence sociale, lorsque j’ai abordé le débat de la compétitivité en rapport avec le coût du travail, ça n’a pas fait plaisir aux syndicats. Et, quand je suis attaché à défendre une loi de reprise des sites rentables, ça ne fait pas plaisir au Medef. La France n’a pas l’habitude des compromis. Je pense que la période que nous traversons les rend nécessaires.

PSA vous accuse d’avoir, avec vos propos, fragilisé un peu plus le groupe…

Le cours de Bourse de PSA n’a pas attendu l’annonce du plan de fermeture pour chuter. Il a reculé de 77,5% en un an, retrouvant son plus bas historique du début des années 90. Je suis parfaitement conscient que nous vivons dans un univers de marché, mais il y a 8 000 familles qui sont menacées par le chômage. Je ne suis pas le ministre du cours de Bourse, toujours volatile, mais du redressement de l’économie, qui nécessite des choix dans la durée.

On peut se demander où est passé le Montebourg d’avant 2012, celui du consumérisme, de l’ouverture à la concurrence, l’avocat des class actions ? Il n’y aurait pas un peu de reniement ?

Je ne comprends pas le sens de votre question. J’ai fait toute ma campagne de la primaire sur le thème de la démondialisation et du redressement industriel. Démondialiser, c’est rapprocher les lieux où l’on produit des lieux où l’on consomme. L’émergence du low-cost a conduit aux délocalisations dans beaucoup trop de secteurs, notamment dans l’automobile. Dans l’aérien, il a accéléré les difficultés d’Air France. Dans les télécoms, l’arrivée d’un quatrième opérateur, low-cost, a contribué à l’accélération des destructions d’emplois. Et je reste favorable aux actions de groupe dans le cadre de la défense des consommateurs.

Pourtant, l’arrivée de Free a redonné du pouvoir d’achat en faisant baisser les factures…

Le consommateur est aussi un chômeur en puissance. Qu’allez-vous faire d’un consommateur qui n’a pas de travail ? Mon projet est de réconcilier le salarié, le consommateur et le citoyen. Il ne s’agit pas non plus de créer des conditions de rente pour les producteurs. Je crois que le curseur est allé, parfois, trop loin. On ne peut pas accepter que la concurrence libre et non faussée, c’est-à-dire sauvage, aille jusqu’à détruire les emplois et les outils de production.

On a l’impression d’entendre Martin Bouygues dans ses diatribes contre Free…

Vous caricaturez ma position. Il ne s’agit pas de dire que c’était formidable avant. J’ai bien conscience du niveau de dividendes et de marges excessives chez les opérateurs avant l’arrivée de Free. Je le leur ai dit. Mais dans un secteur performant comme les télécoms, en bonne santé, non mondialisé, dont le modèle économique relève des pouvoirs publics, on ne va pas laisser s’installer des plans sociaux.

En souhaitant rapatrier les centres d’appels du Maroc et de Tunisie en France, n’êtes-vous pas en train de fragiliser l’emploi au Maghreb ?

Je vais me rendre en septembre à Tunis et à Rabat pour discuter avec les gouvernements. La localisation des emplois vers le Maghreb s’est intensifiée. Il y a eu 7 000 emplois créés à Tanger avec l’installation d’une nouvelle usine Renault, et la sous-traitance automobile est très active en Tunisie. Mon souhait est de développer une stratégie gagnant-gagnant avec ces pays frères et amis.

Quand verra-t-on les premiers résultats du redressement productif ?

Je travaille, sur le long terme, au redressement économique de mon pays. Nous jugerons dans cinq ans. Je partage cette ambition avec le président de la République. Je fais le pari que le groupe PSA et beaucoup d’autres seront alors plus puissants qu’aujourd’hui. Et que je roulerai toujours en Peugeot



24/07/2012
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