HOMMAGE DE FRANCOISE SIRI A STEPHANE HESSEL: APPEL A LA POESIE
Stéphane Hessel : Appel à la poésie
« Ce que j’aimerais dire à chacun, c’est que la poésie nous aide à vivre mieux et nous réconcilie avec la mort. C’est mon bonheur, ma gourmandise. » C'est ce que disait Stéphane Hessel en décembre à Françoise Siri, poète et journaliste, qui lui rend hommage en poésie.
Tout le monde connaît « Indignez-vous ! » devant l’inacceptable. Mais Stéphane Hessel, c’est aussi : « Vivez en poésie ! » J’ai le souvenir qu’au théâtre de l’Odéon, à la remise du Prix Mychkine 2012, qui couronne les œuvres faisant progresser les droits de l’homme, il est arrivé, un sourire espiègle aux lèvres, et s’est immédiatement mis à déclamer des poèmes de sa voix chantante devant la salle brusquement silencieuse et émue. « Je pense que, par la poésie, on peut apporter quelque chose à des échanges sur un sujet, aussi sérieux soit-il. » Comme à son habitude, il avait pris un intense plaisir à échapper aux cadres formels et à surprendre son auditoire.
Le 18 décembre, il m’avait reçue chez lui, avec sa modestie coutumière, pour que nous trouvions ensemble un moyen de convaincre le public de la nécessité de lire et de réciter des poèmes. « La poésie n’est pas valorisée par nos sociétés qui préfèrent mettre en avant les valeurs du rationnel, du matériel, de l’économique… Même si l’économique a son importance et ses vertus, il ne peut pas et il ne doit pas devenir la seule dimension de notre être. » En l’écoutant, je regardais posé sur sa table le livre qu’il était en train d’étudier à mon arrivée, le dernier ouvrage de René Passet, premier président d’Attac, sur la nouvelle économie solidaire. Il saisit mon regard et ajouta d’un air enjoué : « Oui, la poésie libère l’imaginaire et nous aide à comprendre le monde, parce qu’elle nous ouvre à un monde autre, tout aussi réel que le quotidien, mais sans ses lourdeurs. (…) »
Il était né en poésie : son père, Franz Hessel, écrivain et traducteur, lui avait légué les dieux grecs et la poésie ; sa mère, Helen Grund, était peintre et passeuse enthousiaste de l’émotion poétique. Ses parents et sa gouvernante Emmy Toepffer lui avaient aussi transmis la faculté d’aimer les hommes et le monde, et celle d’admirer : « Au fond, on a tous une part admirable et une part médiocre. Si on commence par voir la part médiocre de l’autre, on se prive de le connaître véritablement et de vivre pleinement. Dans toutes les difficultés et les épreuves de ma vie, c’est la poésie qui m’a sauvé, qui m’a permis de renouveler mes émotions et de retrouver un équilibre. (…) Ce que j’aimerais dire à chacun, c’est que la poésie nous aide à vivre mieux et nous réconcilie avec la mort. C’est mon bonheur, ma gourmandise. Puissiez-vous avoir vous aussi, vous tous, une façon poétique de concevoir la vie, c’est ce que je vous souhaite. »
Françoise Siri
POÈMES
Lors de notre entretien du 18 décembre, Stéphane Hessel récita notamment le poème d’Apollinaire reproduit ici, et parla avec passion de Nâzim Hikmet, grande voix turque de la poésie et de la résistance « que mon fils Antoine récite à haute voix ».
« J’ai cueilli ce brin de bruyère », Guillaume Apollinaire
« J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends »
***
Extrait III de « Lettres et poèmes » (1942-1946), Nâzim Hikmet
« Je te dirai quelque chose
d’une importance capitale
L’homme change de nature
quand il change de lieu.
J’aime effroyablement ici
le sommeil qui vient comme une main amie
ouvrir les verrous de ma porte
et renverser les murs qui m’enferment.
Comme dans la comparaison banale
je me laisse aller dans le sommeil
comme la lumière glisse dans les eaux tranquilles
Mes rêves sont magnifiques
je suis toujours dehors
Le monde y est clair, le monde y est beau
Pas une fois encore
je n’y fus prisonnier
Pas une fois encore dans mes rêves
Je ne suis tombé dans la montagne de l’abîme.
Tes rêves sont terribles diras-tu,
Non, ma femme,
J’ai assez de courage pour faire au rêve sa part de rêve. »
in C’est un dur métier que l’exil, Le Temps des Cerises, trad. Charles Dobzynski, 2012
***
« Rouge feuillage », Franz Hessel
« Vint le printemps rapide comme un vol de nuages
Son fin scintillement ne me suffisait pas
Puis vint l’été, abondant et fiévreux
Timide, j’eus recours à la fraîcheur de l’ombre
Voilà qu’automne répand ses feuilles sur mon seuil.
Comment donc as-tu su, compagnon mélancolique,
En conjuguant la peine et la splendeur
Te donner, nous donner cette fin aux mille couleurs. »
In Ô ma mémoire ; La poésie, ma nécessité, Stéphane Hessel, Seuil, 2006.