On dit que la nuit porte conseil. Elle peut aussi receler son lot de cauchemars chez les socialistes. Attablé à un comptoir du VIIe arrondissement de Paris, hier matin, un ministre ressasse la conférence de presse présidentielle de la veille en touillant son café. «Tu te rends compte, pas un mot pour les nôtres», lâche-t-il, le regard vide. Mais beaucoup pour les autres… entendre, le centre droit. Si l’Elysée réfute tout «débauchage électoral», il n’est pas interdit de chercher à déstabiliser la toute nouvelle alliance entre l’UDI et le Modem et à provoquer un débat à l’UMP à quelques semaines des municipales et des européennes en proposant un contrat aux patrons, inédit à gauche. «C’est une démarche politique décisive pour le pays par rapport à laquelle chacun devra se situer. Et si cette démarche suscite un rassemblement au-delà de la gauche, tant mieux», explique-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat.

«Responsabilité». Devant ses proches, Stéphane Le Foll, membre du premier cercle présidentiel, ne dit pas autre chose, jurant que la recomposition politique peut être une conséquence mais pas le but de l’opération. «Si les centristes passent à la responsabilité plutôt qu’à la critique bête et méchante, on ne va pas s’en plaindre», dit-on chez le ministre de l’Agriculture. Et certains semblent prêts à franchir le gué, comme Jean-Louis Borloo à l’UDI ou François Baroin, Jean-Pierre Raffarin et Bruno Le Maire à l’UMP (lire ci-contre), autant de figures de droite que le sénateur hollandais André Vallini range désormais dans la catégorie «opposants constructifs».

A l’Assemblée, hier, Jean-Marc Ayrault a donc appelé la droite à «être au rendez-vous du pacte de responsabilité» proposé par Hollande - suppression des cotisations familiales pesant sur les entreprises et réduction des dépenses publiques. La droite, elle, a tenté d’enfoncer un coin dans la majorité, qu’elle juge vacillante, avant de se voir remise en place : «Il y a un seul groupe divisé ici, le vôtre», s’est amusé le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici.

Et pourtant, assure un pilier du groupe socialiste, «Hollande ne veut pas du centre. Son calcul est simple : le flanc gauche de la majorité - hors PCF - tient toujours bon et les écolos sont gérables, alors on ne va pas renverser la table des alliances maintenant.» Par rapport aux années Jospin (1997-2002), «on n’a pas les cocos dans la majorité, et ça change tout», s’émerveille un poids lourd du gouvernement.

A la gauche du PS, le procès est sans appel. Pour le secrétaire national du Parti communiste, Pierre Laurent, Hollande a inventé le «pacte d’irresponsabilité sociale» et dynamite le «modèle républicain français». Jean-Luc Mélenchon, lui, appelle les socialistes à faire sécession et à rejoindre son Parti de gauche maintenant que le Président joue au «VRP du Medef».

Sur le flanc gauche du PS, Benoît Hamon et ses proches ont réagi de manière soft mardi soir réclamant des contreparties fortes pour le patronat. Mais le ministre de l’Economie sociale et solidaire doit être reçu à l’Elysée aujourd’hui. «Benoît est un peu tendu, croit savoir un proche du Président. Ce n’est pas simple pour lui. Il a des troupes à gérer.» Du côté de Maintenant la gauche (le courant d’Emmanuel Maurel, Jérôme Guedj et Marie-Noëlle Lienemann), on refuse de baisser les bras face à l’offensive «sociale-libérale [de Hollande] avec une part sociale a minima», selon les mots de la sénatrice de Paris, qui reste au PS afin de ne pas «laisser le terrain aux sociaux-démocrates».

 

Vague à l’ame. Et le reste de la majorité ? «Il y a une sorte de sentiment dominant, chez nous, que nous faisons une politique contrainte et que nous ne pouvons pas faire autrement», concède un ministre de poids. Hollande aurait donc (ré)inventé le sinistre «There is no alternative» (TINA) de Margaret Thatcher, adouci à la sauce sociale-démocrate. Afin de clouer le bec de ses ministres pris d’un vague à l’âme, le Président en a rajouté une couche, hier, pendant le Conseil des ministres. «Pour que les Français aient confiance, il faut que les ministres aient confiance. Sinon ça ne marchera pas», a prévenu François Hollande.

A la questure de l’Assemblée, hier matin, Bruno Le Roux, patron des députés socialistes et hollandais pur jus, avait convié ses ouailles pour un débriefing de la prestation du chef de l’Etat. «Pas une seule fausse note», assurait-t-on à la sortie. A un détail près : une partie des socialistes n’a pas fait le déplacement. L’aile gauche et les députés «aubrystes» ont oublié de mettre leur réveil. La veille, tous les députés étaient invités à suivre l’allocution du Président au même endroit. Peu ont tenu les 150 minutes. Si des applaudissements ont ponctué la fin de l’exercice, le nouveau New Deal hollandais été accueilli par un grand silence. Qui ne dit mot consent ? «Les gauchos sont un peu groggy, les "lignards" [les députés qui suivent la ligne présidentielle], eux, sont contents mais se disent que la haie est quand même très haute», résume un parlementaire.

Côté écologistes, c’est la disparition de la transition écologique du discours présidentiel qui préoccupe, de même que le doute sur la poursuite des coupes budgétaires et l’efficacité du pari «baisses des charges contre embauches». Conclusion d’un poids lourd du gouvernement : «On a une figure de style inédite, un Président plus à droite dans les mots que la politique qu’il conduit dans les faits.»

Grégoire BISEAU et Laure BRETTON