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ESPAGNE INSOUMISE PRETE A CHANGER DE REGIME

L’Espagne insoumise prête à changer de régime (médiapart)

|  Par La rédaction d'infoLibre et Miguel Angel Villena

Les Indignés du 15 mai 2011 ont donné le coup d’envoi à des manifestations contre un système injuste. La mobilisation continue dans un pays plongé dans la crise mais le mouvement n'a pas réussi à imposer un véritable changement, pas plus que l'opposition ou les syndicats n'ont su canaliser le mécontentement. Aujourd'hui, une Espagne insoumise et rebelle exige de nouvelles règles du jeu, une seconde transition politique qui en finisse avec les privilèges.

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Manifestation contre les expulsions.Manifestation contre les expulsions.© César Lucas Abreu

Un matin maussade de février, des pompiers de La Corogne ont refusé de déloger une vieille dame de 85 ans frappée d’un arrêté d’expulsion. La terrible situation dans laquelle se trouvait Aurelia Rey a fait réagir ces pompiers, qui n’ont pas accepté de collaborer avec un système injuste dans lequel on leur laisse le rôle ultime et brutal : celui d’enfoncer la porte à coups de hache pour procéder à une expulsion. Ils ont immédiatement reçu des manifestations de soutien de la famille et des amis de la dame, qui ont brandi des pancartes portant l’inscription « stop aux expulsions » dont les photos ont fait le tour de l’Espagne.

Ces habitants de La Corogne ont été et sont toujours un symbole de l’Espagne insoumise qui se révolte contre les coupes budgétaires dans le social, les injustices qui ont valeur de loi, les métastases de la corruption et la cruauté d’un système qui plonge dans la pauvreté une partie de la population. Cet épisode a montré que même des fonctionnaires du noyau dur du système (juges, pompiers, personnel de justice…) commençaient à mettre en pratique l’insoumission.

L’après-midi du jeudi 19 mai 2011, alors que des milliers de personnes occupaient la place Puerta del Sol, à Madrid, une petite fille qui déambulait entre les tentes a demandé à son père : « Et s’ils sont si fâchés, pourquoi ils ont l’air si content ? » C’est Carlos Taibo, ce professeur et essayiste qui fut l’un des orateurs du mouvement du 15 mai (15-M), qui le raconte dans son livre Nada será como antes (« Rien ne sera comme avant »), un titre qui illustre bien ce moment historique que la presse internationale a qualifié de « spanish revolution ». Ce mois de mai a cristallisé le mécontentement d’une Espagne insoumise, mais joyeuse ; indignée, mais regardant l’avenir en souriant. La fille de l’ami de Taibo avait mis dans le mille.

Tout est parti de ce printemps animé par des exemples qui ont agi comme des stimulants et en particulier par un texte qui circulait de main en main, d’ordinateur à ordinateur, l’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, préfacé par l’écrivain et économiste José Luis Sampedro. Ce sont deux nonagénaires, décédés récemment, qui ont démontré que la révolte face au pouvoir n’est pas une question d’âge mais d’attitude.

Depuis, cette rébellion est en plein essor car il est difficile de rester indifférent face à la vague de mécontentement, de manifestations, de grèves, de meetings, d’« escraches » (dénonciation d’un politique devant son domicile) et autres rassemblements qui ont véritablement inondé le pays ces deux dernières années, surtout depuis l’arrivée du Parti populaire (PP, droite) au pouvoir en décembre 2011 et l’aggravation d’une crise qui s’annonce sans fin. Environ 50 000 manifestations, selon plusieurs observateurs, ont été organisées en Espagne au cours de l’année 2012 à l’appel de collectifs et associations les plus divers.

Marée blanche, manifestation contre les coupes dans le budget de la santé.Marée blanche, manifestation contre les coupes dans le budget de la santé.© César Lucas Abreu

La mobilisation s’installe tous les jours dans les rues et sur les places, des actions menées par le 15-M à la Puerta del Sol (et ses slogans désormais célèbres : « Non, non, ils ne nous représentent pas » ou « PSOE et PP, c’est la même merde ») aux deux grèves générales de 2012, en passant par la marée blanche du personnel de santé, la verte des professeurs et étudiants, ou la noire des fonctionnaires. Peu de secteurs ont échappé à ce tsunami d’indignation et de colère parce que la crise a emporté les classes populaires et appauvri les classes moyennes. Et ce en un temps record qui a vu anéantis en quelques mois les acquis sociaux de plusieurs décennies. Aujourd’hui, six millions de chômeurs et le démantèlement des services publics alimentent la colère.

Cette rébellion se manifeste sous des formes classiques – et pour certains dépassées – comme la grève mais elle se répand comme une traînée d’indignation par d’autres méthodes telles que les rassemblements de titulaires ruinés d’actions vendues comme « préférentielles » devant des agences bancaires, les huées au passage de la famille royale lors de ses déplacements officiels, les dénonciations devant le domicile de politiques ou les insultes aux grands banquiers à la sortie des tribunaux. Des gestes inimaginables il y a quelques années. Même certains collectifs se sont mis à l’action directe en sortant de supermarchés sans payer. « Je n’écarte pas la possibilité de flambées de violence », estime la journaliste et écrivain Rosa María Artal, une des personnes qui ont suivi de très près les mouvements sociaux contre la crise. « Il est clair que la situation ne va pas s’améliorer, ajoute-t-elle, et cela va être terrible de revenir à l’époque du sous-développement. Il suffit de regarder la Grèce ou le Portugal. »

De fait, plus aucune institution n’est intouchable, pas même la monarchie, noyée dans une mer de corruption et de discrédit, ni le Congrès, en permanence protégé par des grilles et des policiers anti-émeute. La crise espagnole touche le portefeuille, mais aussi l’éthique. Le pays tout entier souffre d’une grave maladie. Alors une majorité de citoyens protestent contre les effets dévastateurs d’une crise qui leur retombe dessus et exigent bruyamment une refonte du système, une seconde transition démocratique. À ce stade, il semble évident que les pansements ne suffisent plus. L’Espagne insoumise veut changer les règles du jeu.



08/08/2013
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