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DE LAMPEDUSA A CALAIS : LE DRAME DE L'EUROPE

De Lampedusa à Calais, le drame de l’Europe

|  Par Carine Fouteau

En vingt ans, près de 25 000 personnes sont mortes en Méditerranée en tentant de rejoindre l'Europe. Des voix s'élèvent de toutes parts pour dénoncer cette hécatombe. Mais quel crédit donner aux larmes des responsables politiques européens qui n'ont de cesse d'ériger des murs autour du vieux continent ? Les symboles se percutent : peu après le drame de Lampedusa, des policiers français sont intervenus à Calais pour expulser des exilés syriens, avant d'interrompre leur opération.

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Le port de Lampedusa transformé en morgue à ciel ouvert et la mer Méditerranée en cimetière migratoire. Combien de morts faudra-t-il pour que les pays de la rive nord de la Méditerranée prennent conscience de leur part de responsabilité dans les drames qui se succèdent à leurs portes ? 300 ? Davantage ?

La réalité est pourtant déjà plus terrifiante : près de 25 000 corps ont sombré au cours des vingt dernières années dans cet espace maritime qui sépare l’Europe de l’Afrique et, au-delà, du reste du monde, selon les estimations de l'eurodéputée (EELV) Hélène Flautre, membre de la commission des Libertés civiles. Des dizaines de milliers de migrants en quête d’une vie meilleure, fuyant les guerres ou les persécutions y transitent chaque année, venus du Sahel ainsi que d’Afghanistan, d’Irak, du Bangladesh et plus récemment de Syrie.

Vingt-quatre heures après le naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa du bateau parti de Misrata en Libye, avec à son bord entre 450 et 500 exilés originaires de la Corne de l’Afrique, les questions se bousculent. Les recherches ont repris en mer, vendredi 4 octobre dans la matinée, mais l’espoir de retrouver des rescapés a quasiment disparu. Seuls 151 passagers ont pu être sauvés. Les autres ont péri, à quelques centaines de mètres du rivage. Ce qui fait de cet événement l’un des plus meurtriers de la décennie.

Des cadavres alignés sur les quais de l’île puis rassemblés dans un hangar du petit aéroport, des hélicoptères qui rapatrient les blessés déshydratés dans les hôpitaux de Sicile, le décompte des enfants, des femmes enceintes, l’émotion de la maire Giusi Nicolini et celle du médecin de la clinique Pietro Bartolo, la réactivité des habitants : ces gestes en rappellent d’autres, gravés dans la mémoire de Lampedusa. L’histoire se répète. Jusqu’à quand ?

Des rescapés du naufrage arrivant à Lampedusa, le 3 octobre 2013. © ReutersDes rescapés du naufrage arrivant à Lampedusa, le 3 octobre 2013. © Reuters

Selon les premiers éléments de l’enquête, l’embarcation se serait enflammée puis aurait coulé après que des migrants ont tenté de signaler leur situation périlleuse aux garde-côtes et aux navires marchands alentour. Les témoignages font état de la présence à proximité de plusieurs bateaux de pêches qui ne se seraient pas arrêtés. « Si ces faits sont avérés, il faudra faire la lumière sur ces manquements », a déclaré la maire. Là encore, ce scénario fait écho à d’autres récits, ceux des survivants de précédents naufrages ayant constaté l’absence d’assistance à personnes en danger. « On n’a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts », a déploré Giusi Nicolini. « Il faut que les caméras de télévision viennent ici, montrent les cadavres, sinon c’est comme si ces tragédies n’existaient pas », a-t-elle ajouté, exigeant du président du conseil Enrico Letta qu’il vienne « compter les morts » avec les habitants.

Face à l’ampleur du drame, les autorités italiennes ont décrété un « deuil national » à partir de vendredi, tandis qu’une minute de silence devait être observée dans toutes les écoles ainsi qu’avant tous les matchs de football du championnat. De toutes parts, des voix s’élèvent. Le président de la République, Giorgio Napolitano, en a appelé à un sursaut de la communauté internationale « et en premier lieu de l’Union européenne ». Au nom de l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe, Jean-Claude Mignon, député français UMP, a estimé qu’il était temps de « mettre fin à ce type de tragédies », plaidant en faveur d’« une action urgente des États membres contre cette honte », reprenant les mots du pape François.

Mais quel crédit donner aux larmes de responsables politiques européens restés impassibles ces dernières années ? Aucune barrière, aucun mur, aucun fil barbelé, aucune mer n’a jamais empêché quiconque de fuir son pays dans l’espoir d’améliorer ses conditions d’existence. Pourtant les États membres n’ont de cesse de durcir leurs politiques migratoires. La responsabilité des pays de départ, incapables d'offrir le moindre avenir à leur population, est évidente, la leur ne l'est pas moins. En verrouillant leurs frontières, ils conduisent mécaniquement les migrants à prendre toujours plus de risques pour surmonter les obstacles dressés sur leur chemin. Impuissance ? Non. L'Union européenne a les moyens de réagir mais les pays qui la composent préfèrent s'adresser à des opinions publiques affaiblies et apeurées par la crise économique et sociale.

Faut-il croire le ministre de l’intérieur italien Angelino Alfano quand il demande que son pays étende ses patrouilles au-delà de ses eaux territoriales, alors que, le plus souvent, les autorités maltaises et italiennes se renvoient la responsabilité pour éviter d’envoyer leurs garde-côtes ? À qui s’adresse le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, lorsqu’il déclare que « la tragédie doit être une incitation à l’action » ? Qu’a à dire Paris au moment où les forces de l’ordre françaises sont dépêchées à Calais pour expulser des exilés syriens en grève de la faim ?

Après avoir été chassés de squats en squats, ces réfugiés, qui occupent l’une des entrées du port de Calais, auraient pu périr à Lampedusa. Certains sont arrivés par là. Des compatriotes sont morts en Méditerranée ces jours-ci. Leur trajectoire les a menés dans le nord de la France, où beaucoup d’anglophones espèrent traverser la Manche, direction la Grande-Bretagne. Dans l’Hexagone, ils ont été mal accueillis, la plupart ignorant qu’ils étaient susceptibles de demander l’asile et d’obtenir le statut de réfugié. Pour protester, une quarantaine ont décidé de cesser de s’alimenter (lire leur appel sous l'onglet Prolonger). L’intervention des policiers s'est interrompue, deux des grévistes ayant menacé de se jeter du haut du bâtiment sur lequel ils s'étaient retranchés. Pour sortir de cette «impasse», la préfecture du Pas-de-Calais a annoncé que leurs dossiers pourraient être examinés «en urgence» par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).



04/10/2013
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