Jamais là où on l’attend. Depuis le début de la crise en 2008, nombre de commentateurs pronostiquent, chaque été, la fameuse «rentrée chaude». Un gros mouvement social, plutôt de gauche, emmené par les syndicats et manifestant entre République et Nation. C’est finalement cinq ans plus tard, sur des revendications teintées, pour certaines, de poujadisme, dans un cadre décentralisé et hors des «corps intermédiaires», que surgit aujourd’hui la fronde. Partie de Bretagne fin octobre sur la question de l’écotaxe, la grogne gagne désormais d’autres régions. Et ce sur des motifs les plus divers, même si la lutte contre la fiscalité reste l’un des plus partagés. Autopsie d’un mouvement multiforme et aux alliances parfois contre-nature…

Contre l’écotaxe

les bonnets rouges

Ce sont les fameux «bonnets rouges» bretons. Alliance, à l’origine, d’agriculteurs, de petits patrons du transport et de l’agroalimentaire de la péninsule, ils sont mobilisés depuis des mois contre cette taxe poids lourds prévue initialement pour le 1er janvier 2014. Ils vont percer médiatiquement le 26 octobre, lorsque leur action contre un portique dégénère avec les forces de l’ordre. Trois jours plus tard, le gouvernement annonce un moratoire sur l’écotaxe. Une suspension qui ne désarme pas les intéressés. Le 2 novembre, ils sont entre 15 000 et 30 000 dans les rues de Quimper, à réclamer l’abrogation de cette taxe. Avec un slogan qui se veut rassembleur, mais aussi régionaliste : «Vivre, travailler et décider au pays.» Le mouvement prend également une autre dimension : malgré les appels de Jean-Luc Mélenchon à ne pas défiler avec le patronat, nombre de salariés préféreront se rendre à Quimper plutôt qu’à Carhaix où, le même jour, SUD, FSU et CGT organisent leur propre rassemblement. Symbole du caractère hétéroclite, voire contradictoire, des bonnets rouges : lors du défilé à Quimper, des agriculteurs mettront à terre la sono de FO, seul syndicat présent, car les slogans s’en prenaient… au patronat.

En marge des Bretons, un mouvement des bonnets rouges dit «national» s’est créé sur les réseaux sociaux. Derrière le compte Twitter (6 800 abonnés) et la page Facebook «Les bonnets rouges, cahier de doléances 2013» (5 500 fans) se cache Antoine, un chargé de com sans allégeance partisane. «Quand j’ai vu les bonnets rouges détruire le portique, j’ai compris que le symbole était très porteur. J’ai élargi la revendication pour demander la fin du matraquage fiscal», raconte-t-il. Ce mouvement a fait des émules. Une dizaine de comptes départementaux se sont créés, gérés par des individus épars : en Indre-et-Loire, les licenciés de Michelin ; en Isère, un étudiant, et dans plusieurs départements des sympathisants FN…

Contre la fin des subventions européennes patrons et salariés unis

Le 4 novembre, emmenés par leur patron, les salariés de l’entreprise Tilly-Sabco, spécialisée dans l’exportation de poulets congelés, s’en vont manifester à Morlaix. Pendant que leur PDG s’entretient avec le sous-préfet, les salariés défoncent le portail du bâtiment. Leur revendication ? Le maintien des «restitutions» européennes, ces subventions à l’exportation dont la fin programmée depuis cet été met en difficulté nombre d’entreprises agroalimentaires en Bretagne. Le soir même, le ministre de l’Agriculture promet de défendre leur cause à Bruxelles.

Contre les hausses de TVA, les bonnets verts, oranges…

Opposés à la hausse de la TVA au 1er janvier, deux mouvements au moins surfent sur les bonnets. Les «bonnets verts», créés à l’origine par des adhérents de l’Association des voyageurs-usagers des chemins de fer (Avuc), basée au Mans, protestent contre le passage de 7 à 10% de la TVA sur les transports en commun au 1er janvier. Les «bonnets oranges», eux, sont composés de professionnels de l’équitation et s’insurgent contre le relèvement de 7 à 20% de la TVA pour les centres équestres. Ils étaient 4 000 hier dans les rues de Paris.

Contre la hausse des charges les petits patrons

Absents des couloirs de Bercy, les petits patrons, eux, montent au créneau aujourd’hui contre les «charges fiscales et sociales». L’Union professionnelle artisanale (UPA) lance une campagne d’affiches noires chez les commerçants, barrées de «sacrifié mais pas résigné». «Un immense plan social se profile à l’horizon», s’alarment les artisans, qui craignent la disparition de l’économie de proximité. «1,1 milliard d’euros de charges fiscales et sociales supplémentaires en 2013, 100 millions de plus en 2014, les hausses de TVA au 1er janvier, les nouveaux prélèvements s’ajoutent à la crise pour asphyxier les chefs d’entreprise de l’artisanat, du commerce de proximité et l’ensemble des travailleurs indépendants», dénoncent-ils.

Contre les rythmes scolaires des syndicats et l’UMP

Contre les nouveaux rythmes scolaires, ce sont des maires UMP qui manifesteront, demain, aux côtés de syndicalistes enseignants. Le front qui s’ouvre commence à fragiliser le ministre Vincent Peillon, et avec lui la refondation de l’école, priorité du quinquennat. Car toute une série d’intérêts se sont agrégés autour de la délicate question des rythmes. Les enseignants du primaire, priés de revenir le mercredi matin, estiment qu’ils sont perdants, et avec eux leurs élèves, épuisés. Quant aux syndicats, CGT, FO ou SUD, ils appellent à un abandon de la réforme. La politisation de ce dossier, redoutée par le Parti socialiste, est en train de se réaliser.

Contre les radars des… anonymes alcooliques

Derrière les destructions de radar de vitesse - une centaine un peu partout en France jusqu’ici -, difficile, enfin, de savoir qui se cache. Des bonnets rouges, peut-être, mais aussi, et pour finir, monsieur «Tout-le-monde». En Bretagne, les gendarmes ont ainsi attrapé un artisan de 48 ans, son fils et sa belle-fille, tous deux employés intérimaires, pour avoir essayé de vandaliser ce week-end un radar à Saint-Jean-de-Vilaine (Ille-et-Vilaine). Selon un proche de l’enquête, «c’est après avoir refait le monde autour d’un verre que cet artisan et son fils ont décidé d’aller casser un radar, sur fond de ras-le-bol fiscal». Le père et le fils étaient «très alcoolisés». Pour le parquet de Rennes, «l’artisan n’a revendiqué aucune appartenance à un mouvement précis».

Luc PEILLON, Véronique SOULÉ, Patricia TOURANCHEAU et Dominique ALBERTIN