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CHANGER DE MODELE ECONOMIQUE ?

La croissance, un totem remis à zéro (Libération)

Analyse Les prévisions quasi nulles du PIB français, entre -0,1% et 0,1%, impliquent de changer de modèle économique.

Paris, le 9 juillet 2013. Université Pierre et Marie Curie, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, présente son plan  "Investir pour la France" qui doit dessiner le visage de la France de 2025. SUR LA PHOTO, Pierre Moscovici (2èD), ministre de l’économie et des finances,Arnaud Montebourg (D), ministre du redressement productif, Philippe Martin (2èG), ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et Cécile Duflot (G), ministre de l’égalité des territoires et du logement.   
COMMANDE N° 201

Le ministre de l’Economie, PierreMosovici, le 9 jullet (Photo Bruno Charoy)

C’est la polémique de l’été : la France connaîtra-t-elle plus ou moins 0,1% de croissance (ou de récession) cette année ? Après avoir assuré, samedi, dans Nice-Matin, que la progression du produit intérieur brut (PIB) en 2013 «sera faible voire étale, entre moins 0,1 et plus 0,1», le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, s’est repris le lendemain au micro de RTL, expliquant ne pas avoir révisé la prévision du gouvernement, toujours calée sur + 0,1%. «Il y en aura peut-être une nouvelle le 25 septembre, au moment de la présentation du projet de loi de finances», s’est rattrapé le locataire de Bercy, dont le discours cognait quelque peu avec le volontarisme du président de la République. «Il y a quelque chose qui se passe», considérait François Hollande la semaine dernière, en revenant sur une éventuelle reprise, évoquée lors de son intervention télévisée, le 14 juillet.

Demain, c’est la publication par l’Insee d’un autre chiffre qui devrait agiter les esprits : la première estimation de la croissance au deuxième trimestre qui, après deux trimestres successifs à -0,2%, devrait être très légèrement positive. Permettant ainsi au gouvernement d’afficher, officiellement, une sortie de récession, et d’affiner au passage la prévision pour cette année (lire page 4).

 

«Accumulation infinie». Plus ou moins 0,1% ? «Un débat minable», estime Patrick Artus, qui ne s’attend pas, en moyenne, à plus de 0,7% de croissance annuelle d’ici à 2020. Bref, «les discussions devraient avoir lieu sur ce que l’on peut faire d’ici dix ans», s’agace l’économiste de Natixis, qui considère que l’absence de progrès techniques dans les pays développés conduira, à long terme, à une croissance… zéro. «Le modèle d’accumulation infinie est devenu impossible, prévient pour sa part l’économiste Jean-Marie Harribey (1), de l’université Bordeaux-IV, mais le fait est passé sous silence par les adeptes de la croissance éternelle et par les hommes politiques qui ne veulent pas toucher au modèle dominant.»

La crise «n’est ni une parenthèse désenchantée ni un phénomène passager après lesquels la France et l’Europe renoueront avec la création de richesses d’antan», ajoute Jean-Paul Pollin, économiste à l’université d’Orléans.

Regrettée ou non, la forte croissance des Trente Glorieuses semble bien derrière nous. Mais à quoi sert-elle ? Et peut-on s’en passer ? La croissance économique, mesurée par l’évolution du PIB, correspond à l’augmentation de la richesse créée par un pays d’une année sur l’autre. Pourquoi, cependant, ce gâteau sur lequel vit un pays a-t-il besoin de gonfler chaque année ?

Dans le modèle actuel, un surplus de production de 1,5% minimum est indispensable pour au moins deux raisons : absorber, par les emplois créés avec cette hausse de la production, l’arrivée des nouveaux entrants sur le marché du travail (+ 136 000 en 2011), mais aussi compenser les gains de productivité dégagés par les entreprises. En dessous de ce seuil, l’économie détruit des emplois, et le chômage augmente.

Autre rôle de la croissance : dans nos sociétés vieillissantes, la part du PIB consacrée aux retraités augmente. En leur allouant une partie de ce surplus de production, on limite l’impact négatif sur les actifs.

Dès lors, vivre sans croissance dans notre système actuel pourrait se révéler explosif. «Cela conduirait à une baisse du niveau de vie des actifs et à une explosion du chômage, prévient Patrick Artus. Mais si les actifs l’acceptent, et si une forte réduction du temps de travail vient compenser les pertes d’emploi, alors pourquoi pas, mais c’est un autre système, pour lequel il n’y a pas encore d’acceptation sociale.» Même sentiment pour l’économiste Benjamin Coriat, de l’université Paris-XIII : «A ce niveau-là de chômage, difficile de se passer de la croissance.»

 

«facture énergétique». Ce modèle sans croissance ou de croissance très faible pourrait pourtant rapidement s’imposer à nous. Et conduire, pour être vivable, à un bouleversement de notre société.

Première condition, si le gâteau cesse de grossir : réduire les inégalités. «Une nouvelle répartition des revenus sera indispensable, prévient l’économiste Jean-Marie Harribey, sans quoi ce sera le chaos social.» Car si en période de croissance, les besoins sociaux supplémentaires peuvent être financés par le surplus de production, une économie sans croissance devra revoir, de façon radicale, son modèle redistributif.

Second impératif, réduire le temps de travail : «Aujourd’hui, le partage du temps de travail existe, mais il est absurde. Il se fait entre des millions d’actifs qui travaillent 39 heures et 4 millions de chômeurs qui travaillent zéro heure», dénonce l’essayiste et avocat du passage à la semaine de quatre jours, Pierre Larrouturou. «En échange d’un gel des salaires pendant un ou deux ans, et d’une exonération des cotisations chômage pour les employeurs qui jouent le jeu, soit 8% de coûts en moins, on pourrait exiger 10% d’embauches», détaille ainsi Pierre Larrouturou.

Troisième phase : la transition énergétique. Pour des raisons liées au réchauffement climatique, mais aussi économiques. «75% de notre déficit commercial est dû à la facture énergétique, rappelle ainsi Jean-Marie Harribey. Si on arrive à rénover le bâti ancien, cela veut dire qu’on fait d’énormes économies d’énergie.» En développant également les énergies renouvelables, l’investissement serait néanmoins considérable : «L’équivalent de 3% du PIB pendant au moins une décennie, ne serait-ce que pour amorcer la dynamique», ajoute Harribey. Ce qui nécessiterait, quatrième condition et non des moindres, «d’arrêter de se focaliser sur les déficits publics», précise Benjamin Coriat.

Car évoluer d’un système quantitatif actuel à un modèle qualitatif ne se fera pas du jour au lendemain. Cette transition nécessitera un vrai changement de société, dans ses structures, comme dans son état d’esprit. En passant du superflu au nécessaire, cette évolution permettra aussi de développer d’autres richesses, comme les liens sociaux ou la culture, plaident ses défenseurs. En délaissant le système productiviste, elle pourrait aussi… sauver la planète. Et si la panne de croissance n’était pas là tout à fait par hasard ?

(1) «La richesse, la valeur et l’inestimable, fondements d’une critique socioécologique de l’économie capitaliste», éditions Les liens qui libèrent, avril 2013.



13/08/2013
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