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CAHUZAC :PORTRAIT d'une carrière

Une carrière tirée par les cheveux (libération)

19 mars 2013 à 22:46
 

Portrait Du cabinet Evin à l’Assemblée en passant par de lucratives greffes capillaires, Cahuzac a connu plusieurs vies.

Par ERIC FAVEREAU, CHRISTOPHE ALIX

Paris, le 10 novembre 2012. Portrait de Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget, dans son bureau à Bercy.
COMMANDE N° 2012-1461
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Jérôme Cahuzac, le 10 novembre, dans son bureau à Bercy. (Photo Samuel Kirszenbaum)

A 60 ans tout juste, Jérôme Cahuzac est l’homme qu’avait choisi François Hollande pour incarner une rigueur de gauche jamais vue à ce jour. Le moins qu’on puisse dire est que ce «cost-killer» sans états d’âme, qualifié d’«hypertechnicien» par son cabinet, prenait sa tâche au sérieux. Quitte à déstabiliser tout collègue ne maîtrisant pas ses dépenses sur le bout des doigts. Persuadé que la gauche ne peut réussir que si elle assume pleinement les choix douloureux qu’impose selon lui le «surendettement de la France».

Lors d’un entretien avec Libération avant la présidentielle, cet homme élégant au langage toujours châtié et aux allures de grand bourgeois n’avait pas tourné autour du pot. «Oui, je paie l’ISF, comme beaucoup de Parisiens propriétaires de leur logement, expliquait ce grand pourfendeur du bouclier fiscal. Si j’ai réussi, j’affirme qu’à aucun moment mes choix de carrière n’ont été dictés par des considérations pécuniaires. Ce sont les aléas de la vie qui expliquent mon parcours.»

Né dans la «bourgeoisie du savoir, pas celle de l’avoir», cet ambitieux chirurgien viscéral, fils d’un ingénieur de l’armement mendésiste et d’une professeure d’anglais à Henri-IV, avait pris sa carte à la section PS du Ve arrondissement en 1977 sur les conseils du constitutionnaliste Guy Carcassonne, grand ami et voisin de quartier. Jusqu’à sa démission hier, il avait connu deux vies politiques après avoir failli s’en détourner avec la chute du gouvernement Rocard. D’abord au sein du cabinet de l’ex-ministre de la Santé Claude Evin à la fin des années 80, puis, après une traversée du désert pour cause de «chasse aux sorcières antirocardienne», avec Lionel Jospin et sa nouvelle vie d’élu parachuté à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), dont il deviendra le premier édile. L’homme qui n’aime «pas se plaindre» n’avait accédé que tardivement aux responsabilités, très pressé depuis de rattraper le temps perdu.

Après la réélection de François Mitterrand en 1988, c’est ce même Guy Carcassonne qui lui avait mis le pied à l’étrier, suggérant à Evin pour son cabinet ce jeune chef de clinique très actif qui prend alors en charge les relations avec les professions médicales, puis les laboratoires pharmaceutiques. Très vite, Cahuzac impose avenue de Ségur son bagout et ses plaisanteries de chirurgien. Dans un univers plutôt rangé, il tranche. A la demande de son ministre, il se lance dans des négociations difficiles avec des professions de santé pour encadrer leurs dépenses. Il se révèle brutal, mais efficace, et n’a pas peur d’affronter le monde de la médecine libérale, puis celui de l’industrie pharmaceutique.

Honoraires. Trois ans plus tard, c’est la chute de la Rocardie. «Cela n’a pas été facile, nous avons tous été blacklistés», raconte un ancien ministre. Le Dr Cahuzac se croit au-dessus de ces contingences et, selon plusieurs membres du cabinet Evin, estime qu’on lui doit un «beau poste». Il espère non seulement être nommé médecin des hôpitaux, mais aussi professeur des universités. «C’était un bon chirurgien, je l’avais eu comme chef de clinique», reconnaît un chef de service de l’hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine), où il avait exercé. Mais rien ne vient. Et c’est vrai qu’il n’a alors ni les titres ni les travaux pour être nommé à ces postes. Il aura même droit pour finir à un contrôle fiscal en raison de ses accointances rocardiennes.

Selon le principe «on ne veut pas de moi, je vais ailleurs», il claque la porte du service public. Et s’installe, avec sa femme, comme chirurgien esthétique. Sa spécialité : les greffes de cheveux. Il le fait en toute légalité, mais hors de toute convention avec l’assurance maladie. Les honoraires qu’il demande sont libres. En 1993, il crée la société Cahuzac Conseil, via laquelle l’ex-pourfendeur de l’industrie pharmaceutique se met à travailler pour des labos. Selon Mediapart, sa société de consulting a facturé plus de 900 000 euros de prestations entre 1993 et 1997, et 38 000 entre 1997 et 2002, alors qu’il effectuait son premier mandat de député. «Son changement était spectaculaire, raconte un ancien du cabinet Evin. On a découvert un Cahuzac égal à lui-même, grande gueule, chaleureux, mais aimant l’argent.» En quelques années, il fait fortune, avant de reprendre, en parallèle, des activités politiques plus conformes à ses ambitions intellectuelles. En 1995, il participe à l’élaboration du programme santé du candidat PS à la présidentielle, Lionel Jospin. Et, en 1997, accède à la députation. «A l’Assemblée, je l’aimais bien, on s’amusait beaucoup avec lui, raconte Dominique Gillot, ex-secrétaire d’Etat à la santé. Il nous disait, montrant tel ou tel député : "Celui-là, tu as vu les beaux cheveux qu’il a." Jérôme était un député très agréable.»

Compétiteur. On le dit «rugueux» et «cassant», «un dur, pas un méchant», estimait un de ses proches la semaine dernière. Ce dernier répond qu’il reste «correct et toujours loyal» et qu’on ne l’entendra jamais «balancer sur quelqu’un». Bon orateur - il fait ses interventions sans notes -, il est craint par ses adversaires qui, comme François Baroin, le jugent «redoutable». «C’est d’abord quelqu’un de très doué et vif d’esprit, dit de lui Philippe Marini, président UMP de la commission des finances du Sénat. Mais, sur le plan politique, il n’hésite pas à faire prévaloir ses objectifs.» Sa pratique du sport à haute dose résume son caractère de compétiteur né. Grand amateur de boxe, ce dur à cuire au physique sec a participé à la Vasaloppet (course de ski de fond de 90 km en Suède), multiplié les ascensions des cols du Tour de France et gravi l’été dernier le mont Ventoux. Un éternel insatisfait, jamais content de ses temps.

Fiscaliste réformiste mais prudent, cet électron libre, soutien de Strauss-Kahn avant de se rallier «naturellement» à Hollande, dit croire à la «justice qui suppose des efforts équitablement répartis». Mais, pragmatique, il s’est toujours méfié, dit-il, des «grandes réformes définitives»,comme la fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu. Et s’il a appliqué en bon soldat la taxe à 75% sur les super-riches qui a si bien réussi au candidat Hollande avant d’être retoquée par le Conseil constitutionnel, il n’a jamais caché son opposition de fond à ce marqueur de gauche ô combien symbolique. De l’avis général, l’ex-grand argentier de Bercy avait à son poste les défauts de ses qualités : précis et direct, mais laissant peu d’alternatives au final à ses interlocuteurs. Même s’il y mettait toujours les formes.


 

 



20/03/2013
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